Passer du court au long n’a jamais été chose facile.
Le duo de réalisateurs Fanny Liatard et Jerémy Trouilh se sont fait depuis 2015 une petite réputation dans le milieu du court métrage : leurs trois coréalisations, Gagarine [court métrage], La République des Enchanteurs, et Chien bleu, ont été sélectionnés dans de nombreux festivals français et internationaux.
J’ai pour ma part découvert leur travail lors de la sélection de Gagarine [court métrage] à la compétition régionale du festival Paris Courts Devant fin 2015, un court métrage dont la poésie m’avait marqué et pour lequel j’ai gardé jusqu’à maintenant un souvenir assez précis. J’avais également été très heureux de retrouver le talentueux duo dans les nominations des César 2020 pour leur court métrage Chien Bleu.
Quelques mois plus tard, c’est avec une très grande joie que j’avais appris l’attribution à Gagarine, version long métrage, du Label Cannes 2020, le festival ne pouvant se tenir pour les raisons que nous savons tous. Cela avait de facto placé le film parmi mes plus grosses attentes de cette fin d’année [le film a depuis été repoussé au 24 mars 2021].
Gagarine a été à la hauteur de mes attentes. Il faut dire que je n’ai jamais été déçu par l’adaptation en long métrage d’un excellent court. Parfois le court sert aux réalisateurs de note d’intention, souvent il permet de débloquer des financements afin de réaliser le premier long métrage. Je pense à Whiplash de Damien Chazelle, dont le court métrage de 2013 a donné en 2014 le chef d’œuvre éponyme – l’un de mes top 10 Films – ; à Madre de Sorogoyen (dont le court était nommé aux Oscars), ou bien encore, plus récemment, l’incroyable succès – bien mérité – des Misérables de Ladj Ly, dont le court métrage, Grand Prix à Paris Courts Devant en 2017, puis César du court métrage en 2018, avait permis d’accélérer la production du long métrage, sorti fin 2019.
Gagarine, à son tour, s’engouffre dans cette voie.
Tout comme Ladj Ly, Fanny Liatard et Jerémy Trouilh ont placé dès leur première réalisation la cité et la banlieue au cœur de leur travail. Le court métrage Gagarine avait ainsi reçu le Grand Prix du Jury du concours «HLM sur cour(t)», pour leur collaboration avec les habitants de cité Gagarine-Truillot à Ivry-sur-Seine. Le long métrage s’ouvre d’ailleurs sur des images d’archives de l’inauguration de la cité, déjà utilisées dans le court.
A mille lieues de la représentation stéréotypée de la banlieue, avec ses immenses barres d’immeubles suintant la pauvreté et les trafics illégaux, Fanny Liatard et Jérémy Trouilh présentent la cité sous un jour nouveau, empreint de douceur et de poésie, flirtant parfois avec le film de genre pour notre plus grand bonheur.
L’histoire, c’est celle de Yuri, jeune ado qui a passé son enfance dans la Cité Gagarine, et dont le rêve est de devenir cosmonaute. Un cité qui tombe en ruine et devient chaque jour davantage insalubre. Lorsque la nouvelle de la prochaine démolition de la barre d’immeuble tombe, le jeune homme devient rapidement le fer de lance de la résistance des habitants, attachés à leur quartier. A mesure que la cité se vide, la cité se transforme avec une magie enfantine en un vaisseau spatial. Envoutant.
La réussite de ce film ne saurait être totale sans l’immense talent de ses jeunes acteurs : Alséni Bathily, qui incarne Yuri, mérite sans l’ombre d’une hésitation une nomination aux Révélations des César. Il est accompagné par de jeunes étoiles montantes du cinéma, Lyna Khoudri (César de l’espoir féminin pour son rôle dans Papicha), qui interprète une Rom vivant dans un campement voisin, et Finnegan Oldfield, que j’avais découvert avec Ce n’est pas un film de cowboys (excellent court métrage !) et qui était lui aussi nommé aux révélations des César en 2018 ; son rôle ici de petit dealer en herbe lui va à merveille.
S’il n’avait pas été repoussé, Gagarine aurait été très haut dans mon top films 2020. Espérons que nous pourrons le (re)découvrir nombreux à la réouverture des salles !