J'aime trop Gainsbourg pour le ramener au réel. Ce ne sont pas les vérités de Gainsbourg qui m'intéressent, ce sont ses mensonges.
C'est une citation qui en dit long. Son auteur n'est autre que le réalisateur du film : Joann Safar. Cette déclaration pourrait n'avoir rien d'extraordinaire, si elle ne se trouvait pas à l'orée du générique de fin du film, et, surtout, si ce dernier n'était pas une déception ahurissante des premières aux dernières secondes. La débâcle. L'incompréhension. J'ignorais quoi attendre d'un Biopic sur Serge Gainsbourg, et quel dommage que le film n'ait fait que me rendre plus perplexe encore. Cette signature ostentatoire du réalisateur sur sa propre œuvre, non contente de chercher à contrer les futures critiques à coup de "J'suis un artiste, m'voyez, c'ma propre vision de Gainsbarre qui importe, j'suis pas là pour coller à la réalité, la réalité c'est bon pour la province, m'voyez.", est également d'une rare prétention, et ne servira pas à sauver son long-métrage du naufrage.
Il s'agit plutôt de ma vision personnelle de Serge Gainsbourg. Son rapport aux modèles féminins français. » Cette projection a été favorablement accueillie par les acheteurs étrangers potentiels qui, selon le réalisateur : « ont vu une histoire d'amour dans la tradition des films romantiques parisiens. »
Parisien. Le mot qui m'est venu en tête avant même de consulter les articles annexes après mon visionnage. Ce film est pour les Parisiens. Pas pour nous, pauvres hères qui nous attendions à distinguer autre chose qu'un fil narratif décousu, sans réel connecteur logique, et qui se pare d'effets à la Dionysos et sa Mécanique du cœur (et dommage, je déteste Dionysos et la Mécanique du cœur). Chiant. Ce film est d'un ennui morbide. Ce film aurait parfaitement sa place dans un musée d'art contemporain, soigneusement installé entre Carré blanc sur fond blanc et une autre croûte parsemée de poétiques tâches bleu et rouge, représentant probablement l'image de la nation française au 21e siècle. Oui, j'exagère, mais pas de beaucoup.
Dans une interview de Brigitte Fontaine à la sortie du film, celle-ci manifeste son mépris ostentatoire envers l'œuvre de Safar, même sans l'avoir vu. Et comme je la comprends. L'instinct de notre Brigitte nationale a eu raison de la préserver d'une immersion historique complètement foirée (là où La Môme et Cloclo avaient parfaitement réussi à tirer leur épingle du jeu), et d'une vacuité au milieu de laquelle on peine à trouver de quoi satisfaire sa curiosité. Ce n'est clairement pas Gainsbourg que l'on voit à l'écran, malgré le jeu correct d'Elmosino. Oui, correct. Je ne comprends pas l'émoi qu'a suscité sa prestation (là où une Marion Cotillard resplendissait d'une Edith Piaf plus vraie que nature). À trop vouloir sortir des sentiers battus, Safar s'est aventuré dans un... safari ? (pardon.), dans une galère qui ne vaut certainement pas le détour ni tout le battage médiatique qu'on en a fait. Gainsbourg aurait probablement hurlé de rire ou pleuré de dépit en voyant le tableau pathétique dépeint par Vie héroïque. Faire dans l'original, c'est bien. Faire plaisir à son spectateur, c'est mieux. Sans aller jusqu'au fan service, le grand dam est d'observer ici d'un œil impuissant un film trop occupé à se contempler esthétiquement pour livrer un récit suffisant pour tenir au corps. On peut se livrer aux fantasmes poétiques, aux mensonges et aux mystères tant que l'on veut, mais lorsqu'on vend au public un Biopic sur GAINSBOURG BORDEL DE MERDE, on tient ses promesses.
Concernant le casting, il y a à boire et à manger. Commençons avec le pire du pire : Sara Forestier en France Gall, encore plus imbuvable que la vraie (et je pèse mes mots). Absolument pas crédible, elle livre ici une performance lamentable, bien en deçà de celle de Joséphine Japy dans Cloclo. Philippe Katerine en Boris Vian m'a donné envie de lui enfoncer la tête dans le sable, même si on imagine largement les producteurs parisiens s'extasier du "génie" de l'idée et le dialogue qui en a découlé :
- Katerine en Vian ? Ça coule de source voyons ! Entre artistes subversifs, le rôle est fait pour lui...
Parce que le talent de Vian et celui de Katerine, c'est kiffe kiffe, n'est-ce pas ? Comparer un monument à un clown divertissant mais plus occupé à se foutre de la gueule de son public qu'autre chose... intéressant.
Fort heureusement, Laetitia Casta et Lucy Gordon relèvent haut la main le pari risqué de leurs interprétations respectives. La première en mimant à la perfection sans jamais la singer une Brigitte Bardot insouciante et enfantine à la fois jouissive, libertaire et enfermée dans son rôle de sex-symbol de l'époque, et qui apporte au film le rythme qui manque cruellement avant et après son apparition (sans compter l'instrumental parfaite d'Initials BB accompagnant son entrée en scène). La seconde en incarnant une Jane Birkin fraîche, fragile et authentique.
La seule bonne réplique à retenir du film (les autres demeurant d'une banalité affligeante) :
Si vos parents aiment votre travail, c'est que c'est d'la merde.