Dreyer s'est planté. Du moins à l'époque, c'est ce que la critique s'accordait à dire de Gertrud, film testament d'un des plus grands cinéastes classiques. Il est vrai que pour un film sorti en 1964, Gertrud est très "vieille école". Mouvements de caméra lents et précis, ambiance austère saturée de plans fixes ( encore plus que dans Ordet)... et il est vrai que ce film, comparé à des Pierrot le Fou ou Huit et Demi, semble terriblement désuet.
Mais pouvait-on attendre autre chose d'un cinéaste comme Dreyer? Pouvait-on sincèrement demander à un réalisateur ayant commencé à l'époque du muet de s'adapter au renouveau du langage cinématographique?
Car si Gertrud est en retard sur son temps, il est aussi un véritable aboutissement formel, comme en témoignent la perfection du cadrage, et le somptueux noir et blanc, parfois aussi brumeux que celui de Vampyr. Sur ce point là au moins , il serait injuste de descendre Gertrud. Alors oui, la mise en scène est austère au possible, mais c'est ce que Dreyer a toujours fait, et certaines scènes sont d'ailleurs très réussites (notamment celle, saisissante, où Gertrud s'évanouit).
Non, le vrai problème du film est ailleurs, cette foi, Dreyer ne parvient pas à emporter son spectateur, et le film manque du souffle mystique qui parcourait des chefs d’œuvres comme Jour de Colère ou La Passion de Jeanne d'Arc, et la sobriété de la mise en scène peut devenir dure à supporter au bout d'un moment (certaines séquences étant particulièrement longues et statiques, notamment une discussion dans un salon). Il manque le coté fascinant des autres Dreyer, les interrogations spirituelles, les crises religieuses... à la place le film met en place une histoire plutôt pessimiste avec comme thème centrale l'amour qui peut s'avérer intéressante, mais malheureusement trop éloignée des obsessions habituellement plus passionnantes de son réalisateur.
Gertrud est donc un bien étrange testament cinématographique, véritable aboutissement formel dénué des thématiques habituelles de son auteur, mort avant d'avoir pu réaliser son projet de fresque sur la vie de Jésus, qui aurait sans doute été autrement plus fascinant.