Au sein d’une société léthargique, Godzilla réapparait tandis que trois monstres gardiens se dressent contre lui.



Se rappeler pour se souvenir et agir avant de périr



Tomoyuki Tanaka (producteur de la série de films Godzilla) déclarait :



Godzilla est un animal sacré envoyé par les dieux pour annoncer aux
hommes d’aujourd’hui l’horreur de la guerre atomique.



Un propos teinté d’une peur qui semble faire écho avec celui du témoin du premier test atomique, le général Farrell :



Pareil à un avertissement du Jugement dernier, nous comprîmes que
nous avions eu, êtres infimes, l’audace sacrilège de toucher aux
forces jusqu’ici réservées au Tout-Puissant.



Pour toutes ces raisons, Godzilla demeurera à jamais une excellente incarnation de la terreur qu’inspire la bombe. Une terreur qui a parfois besoin d’un rappel puisque la paix est bien souvent la principale cause de l’amnésie collective.


Nous oublions et nous répétons nos erreurs. Tel est le cycle infernal de nos civilisations qui, au fil du temps, ne se souviennent plus et chutent en conséquence de leur ignorance. La narration met en place un procédé qui vise à mettre en scène l’oubli des civilisations pour les erreurs du passé. Car en 1954, la réponse à l’attaque de Godzilla fut un déploiement de toute la force moderne de l’Homme. Un arsenal technologique dont l’arrogance vacille dès le premier contact. Victoire de la Nature et défaite de l’Homme, l’humanité est menacée par une puissance née du feu de ses ravages en temps de guerre. Le monstre sera en un sens apaisé par un sacrifice.


Quelques décennies s’écoulent et l’Homme vaincu se pavane pourtant en héros tueur de monstres : la nation japonaise vit dans l’ignorance à tel point qu’elle renie l’existence de Godzilla, des voyous iconoclastes profanent les objets sacrés, l’irrespect pour les sacrifiés de la guerre est assumé. Et sur ce point, Godzilla est plus que jamais présenté comme un dieu colérique qui vient punir l’humanité en infligeant des calamités.



L’Homme et le Monstre



Ce nouveau retour de Godzilla n’obéit pas qu’à des objectifs commerciaux. On ne le répètera jamais assez, mais l’immortalité des monstres au cinéma n’est pas étrangère aux tendances du moment chez la mentalité nippon. Indéniablement, le monstre est associé à un axiome culturel ou religieux.


Un concept à comprendre : le « shinto ». Il s’agit d’une voie divine qui impose à l’Homme de respecter la volonté des « kami » et donc d’agir avec le respect de la Nature. Le syncrétisme fait de Godzilla un kami. A l’instar de certains objets de la culture japonaise qui permettent aux âmes « tama » de survivre en eux, Godzilla est animé par les âmes des morts de la guerre du Pacifique. On trouve aussi cette croyance adaptée dans le film chez la philosophie bouddhiste où une âme survit toujours par les émotions et les perceptions qu’elle transmet à la conscience d’un nouvel organisme physique.


Une influence d’une conscience extérieure qui explique pourquoi Godzilla attaque à nouveau le Japon alors qu’il possède les âmes de soldats sacrifiés pour la nation. En effet, les citoyens et le gouvernement ne témoignent plus aucun respect à la mémoire de ces soldats comme ils ridiculisent même l’existence du monstre jusqu’au rappel de sa toute puissance. Alors, Godzilla est devenu la vengeance des soldats face à l’ingratitude de tout un pays.



De la dangerosité de protester à travers le cinéma



Initialement, Godzilla devait détruire le palais impérial. C’était une décision du réalisateur qui souhaitait renforcer encore davantage la force symbolique de ce Godzilla rangé du côté des soldats morts durant la Guerre. En effet, l’Empereur Hirohito était un commandant suprême qui eut sa part de responsabilité durant la Seconde Guerre Mondiale. L’éclatement provoqué du conflit fit 27 millions de victimes soit 40% des pertes de la guerre.


L’attaque du monstre sur un tel monument serait devenu un acte de représailles face à l’institution impériale. Un message fort qui fut rejeté par crainte de la virulence des organisations conservatrices. Pour vous donner une idée de la dangerosité d’une telle scène, jadis le maire de Nagasaki demanda à l’Empereur d’assumer ses responsabilités pour ses erreurs de guerre. Il fut renvoyé tandis que des extrémistes exigèrent une « rétribution divine » soit sa mort publique. Le Palais impérial est donc épargné, mais le Parlement Japonais se fera démolir plusieurs fois dans d’autres films : Mechagodzilla, symbole des forces bellicistes, l’écrasera en 2003 dans Godzilla : Tokyo SOS.



Godzilla : reflet de nos sociétés



De grands ouvrages ont été publiés pour comprendre la visée symbolique du Kaiju Eiga. Mais d’autres auteurs (et certains cinéphiles) continuent encore aujourd’hui de destiner ce genre si particulier à un public enfantin. Cela dit, il est indéniable de constater que le film de monstres demeure un excellent moyen de présenter des thèmes qui reflètent les courants d’opinions de notre Histoire. En Occident, les films de monstres sont les cibles d’un jugement expéditif et railleur. Un dénigrement systématique qui amène à cette idée que le genre ne peut proposer que des œuvres puériles. En regardant un film Godzilla, vous pourrez y voir une force métaphorique d’une idéologie, d’une croyance, d’une tradition, ou d’un conflit qui a marqué la conscience populaire d’une nation :


• Derrière le chaos, les monstres sont souvent dépeints comme des gardiens de l’ordre : en tant que représentant accusateur du fléau atomique, Godzilla est d’abord un message écologique et humanitaire pour rappeler les erreurs du passé.


• Ils sont aussi une incarnation des archétypes religieux : le blasphème envers les morts est un élément essentiel du film. Que ce soit Baragon, Mothra, Ghidorah, ou Godzilla, tous agissent pour défendre la mémoire des disparus.


• Et parce que les monstres détiennent des pouvoirs liés à la Nature ils sont bien souvent une représentation de la force de celle-ci : trois des monstres sont les gardiens de l’équilibre naturel.


Même lorsque Godzilla cesse de personnifier une menace pour être un protecteur du Japon et devenir ainsi une sorte de héros pour les enfants, il faut y voir la réponse à un changement de l’opinion face à l’énergie atomique. En effet, au moment où Godzilla devenait la cible prioritaire du public enfantin, le président Eisenhower déclarait dans un discours « des atomes pour la paix ». Peu de temps après, une conférence fut ouverte pour débattre d’une nouvelle orientation de la puissance nucléaire avec un organisme international responsable de la gestion des matières fissibles et de l’implantation des centrales. Le nucléaire redevenait l’ami de l’Homme, alors Godzilla aussi.



Conclusion :



Le cinéma aime sévir en temps de crise. Et les films de monstres demeurent sans nul doute un domaine de prédilection pour aborder de fortes thématiques. Ce film traite de l’impérialisme, du déclin spirituel, et de la léthargie de la société avec un Godzilla détenteur des âmes des soldats morts durant la Guerre. Une réponse appropriée au mépris du gouvernement pour les sacrifiés de la nation et un rappel efficace de nos oublis persistants.



Tant qu’existera l’arrogance des êtres humains, Godzilla survivra.


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le 3 août 2021

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