Dans son poème La conscience de sa Légende des siècles, Victor Hugo écrit ceci: "Il vit un oeil, tout grand ouvert dans les ténèbres / Et qui le regardait dans l'ombre fixement/ (...) L'oeil était dans la tombe et regardait Caïn".
Dans Goldeneye, les morts ne sont pas morts. Les morts ne dorment que d'un oeil. L'oeil ouvert est en or.
Car c'est avec une lutte fratricide entre passé et actualité que James Bond effectue son grand retour en 1995 après six ans d'absence. Après la réussite dorée de Goldeneye, plusieurs grands mythes arrêtés en 1989 tenteront leur retour. Mission: impossible surfera sur le succès de 007, Le Seigneur du temps (Docteur Who) devra attendre 2006 et Chapeau melon et Bottes de cuir, Les Mystères de l'Ouest et plus tard I Spy connaîtrons quant à eux un retour mitigé.
Des ruines de la Guerre Froide à une brûlante actualité
Dès l'entrée dans le film, on s'assure que vous ayez compris une chose: la Guerre Froide, c'est fini. Le monde a changé et Bond doit s'y adapter. M le qualifie d'entrée de jeu de "relique de la guerre froide". Le portrait qu'M dresse de son agent correspond à celui de ses détracteurs lors des réception des seize premiers volets. Le monde a changé. Mais il est surtout en train de vivre les conséquences du passé. Goldeneye revient sur les crimes passés de l'Angleterre et présente une technologie pensée en 1962, au moment du Dr No, mise en marche sous le nom d'Arpanet en 1969-1972 et que le monde entier découvre réellement dans les années 90. 1995 en France, l'année même de la sortie ... de Goldeneye ! Cette technologie, c'est internet.
Internet fait son entrée en même temps que Bond son retour. Mais ses balbutiements le rendent obscur et force le réalisateur Martin Campbell à signifier les interactions entre engins par des rayons rouges. De même, l'apparence des ordinateurs, ces rangées de gros cubes vieillissent terriblement un film à la pointe de la modernité en 1995 !
Ce qui est intéressant avec Goldeneye, c'est ce paradoxe d'une modernité dépassée qui pourtant s'adresse à notre actualité. Car le complot de l'antagoniste du jour, Janus, consiste en utiliser un satellite générant des ondes électromagnétiques pour détruire toutes les données vitales d'un passer, lui faisant par là même ignorer qu'on l'a délesté de tous ses fonds. Ce qui a terme mènerait comme le souligne 007 à une crise mondiale. Au temps du film, 1995, ce complot peut sembler fantaisiste. Certes, les dangers des ondes électro-magnétiques sont déjà évoqués dans Dangereusement vôtre. Max Zorin, le méchant de ce volet, se rend indispensable à l'Est et l'Ouest en leur vendant des micro-processeurs résistant à de telles ondes. Mais en quoi met-il vraiment en danger un pays? En empêchant des avions ou des satellites de survoler le territoire et en les faisant concrètement s'écraser sur le territoire, créant des morts. Sans parler des soupçons d'infertilité envisagés avec humour par le personnage de Don Cheadle dans l'un des volets d' Ocean's . Aujourd'hui, à l'heure où tout est numérisé de l'acte de naissance aux extraits bancaires en passant par les plus grands textes de notre littérature ainsi que la plupart des actes administratifs, le complot de Janus est des plus effrayants. Car, il peut en tirant sur un lieu de la planète avec le satellite Goldeneye effacer des possessions, des décisions juridiques, administratives, des comptes bancaire et même des gens, puisque ce qui est est attesté par ces documents même que l'on numérise. Le film, moderne pour son époque, vieux pour la nôtre, s'inscrit néanmoins dans une troublante actualité. Pour rendre la chose sensible: le complot de C, Nine-Eyes dans le récent Spectre, consistant à mettre le monde entier sous surveillance grâce à des satellites, des caméras, des portables, des ordinateurs, peut être annihilé en moins de quelques secondes par le Goldeneye qui met tous ces outils hors d'état de marche. Snowden, Assange retombent dans l'anonymat et les hackers n'ont plus un zeste de compétence. Car le Goldeneye est l'outil qui permet de replonger notre monde dans celui d'avant les années 90.
Associé à cette présentation d'internet, la figure du hacker de génie et du geek. Une représentation naissante que d'aucuns trouvera sans doute vieillie aujourd'hui. Une représentation qu'incarne le programmeur russe Boris Grieshenko au service de Janus et qu'interprète de façon jouissive l'éternel mais attachant cabotin Alan Cumming connu pour le rôle de Diablo, le mutant passe-muraille d'X-Men II ainsi que celui de Fegan Floop dans la saga Spy Kids. Hilarant, on retiendra de lui sa chemise hawaïenne, sa manie de tripoter son stylo et sa fameuse phrase de réussite: "OUAIS ! JE SUIS BIEN L'INVINCIBLE !!!!", assertion qui sera vérifiée une fois à nouveau dite en fin de film.
Le film et sa réception paradoxale ne s'en tiennent pas à la découverte d'internet. L'oeil qui regarde Caïn est celui de Janus dont on découvre l'identité partiellement et sans le savoir dans le pré-générique. Le générique s'achève sur un tunnel en gunbarrel qui veut signifier le sas entre le contexte soviétique pré-chute du Mur de Berlin du pré-générique et le contexte post-chute du Mur de Berlin du reste du film. Une façon de faire comprendre le vrai message du film et de ceux qui le suivront: la Guerre Froide n'est finie qu'en apparence et rien n'a réellement changé. Aussi la superbe et désormais mythique chanson générique insiste-t-elle dans son refrain sur le regard dans ce qui semble une allusion au poème d'Hugo cité initialement dans cet article: "Yo'll never know how I watched from the shadow as a child" (Tu ne sauras jamais combien je t'observais dans l'ombre étant enfant). Un regard associé à l'oeil d'or et au "golden trap" (piège d'or) qui amène le "je" à conclure: "Revenge is a kiss this time I won't miss: now i've got you in my sight with the goldeneye" (La vengeance est un baiser de ce temps que je n'oublierai pas: à présent je t'ai dans la ligne de mire de mon oeil d'or). La chanson générique épouse à l'évidence le regard de Janus, alias Alec Traleyan 006, un agent du MI6 orphelin d'origine russe qui veut se venger des injustices commises par l'Angleterre à l'égard de ses parents. Deux fils de deux pays qui auraient pu être frères et qui se lance dans une guerre fratricide où la nation n'a plus sa place: "Pour l'Angleterre, James?", lance 006 avant de mourir; "Non, pour moi !", répond sombre 007 qui passe de son image de St-George à celle de Caïn.
Le générique atteste de cette idée de vengeance par son ambiance obscur, crépusculaire, parmi les ruines de l'URSS, où des femmes tapent au marteau sur des faucilles tandis qu'une autre, rappelant l'associée de Janus, révèle un double visage qui fume d'un couteau et tire de l'autre. Le générique chanté par Tina Turner, la célèbre Reine du Rock, rockeuse, chanteuse de R'n'B et actrice (Mad Max III) qui prête sa voix impériale et puissante au service de 007, s'inscrivant dans la suite logique du Goldfinger de Shirley Bassey. Clin d'oeil lui est fait dans le film quand la chanteuse Irina chante avec un accent russe appuyé sa reprise du Stand by your man de Tammy Wynette.
La vengeance de 006 établit lui aussi un lien entre passé et présent, renvoyant à un fait peu glorieux de l'Angleterre durant la Guerre. Ses parents étaient des cosaques de Lienz, de ces cosaques venus déposer les armes en Autriche en 1944 pour rejoindre l'armée britannique anti-soviétique stationnant à Lienz. Mais l'Angleterre a décidé de les trahir et les renvoyer en Russie dans des wagons à bestiaux dignes de ceux qui déportèrent les juifs, cela dans la violence et le sang. Ce sombre passage de l'Histoire britannique est appelée le Massacre des Cosaques de Lienz. C'est un tour de force que fait Goldeneye en rappelant avec humilité cette trahison dont la patrie de 007 s'est rendue coupable mais aussi en lui donnant une conséquence très actuelle. 006 est le premier de cette période de la saga où la plupart des antagonistes de Bond usent des vestiges du passé pour modeler le présent. Et pour camper ce personnage double et vindicatif, la production a choisi le jeune Sean Bean (Equilibrium, Ronin) abonné aux seconds rôles mourant vite pour donner le change. En réalité, celui qui deviendra Boromir dans Le Seigneur des Anneaux ou encore Eddard Stark dans Games of Thrones, transforme ici l'essai dans le rôle de méchant principal lancé dans Jeux de guerre, la seconde aventure de l'espion Jack Ryan. Fort de ce premier succès en terroriste de l'IRA, il se glisse avec élégance et conviction dans le rôle subtil d'Alec Travelyan et donne à voir au spectateur un homme rongé par la colère, par la soif de revanche, qui se fait l'écho dans l'ombre du Bond interprété par Timothy Dalton dans le précédent volet, Permis de tuer.
From Russia with love
Des ennemis russes donc. Des amis aussi.
Car, contrairement à une idée reçue, 007 a peu mis les pieds en Russie. Le spectateur a vu, sans lui, le bureau de Gogol dans L'Espion qui m'aimait, Moonraker et Rien que pour vos yeux et le QG du KGB d'Octopussy. Au mieux Bond passe à Bratislava,appartenant au bloc de l'Est, dans Tuer n'est pas jouer.
Goldeneye le projette enfin sur le sol russe à Severnaya - dit-on - et surtout à Saint-Petersbourg. Première réelle incursion en Russie pour 007 qui en profite pour y poursuivre un général renégat en pleine capitale de l'ex-Empire russe aux commande d'un tank blindé, détruire tout autour de lui et emporter dans son sillage la célèbre statue de Pegasus.
James Bond visite également sous les feux de son ennemi les archives et la bibliothèque de Saint-Pétersbourg, seuls remparts contre l'arme destructrice de 006. Quant à la révélation sur l'identité de Janus, elle a lieu dans un lieu particulièrement symbolique pour ce dix-septième volet, un parc où sont entreposées des statues de l'ère communistes. Ce lieu n'existe pas mais s'inspire du Szobor Park de Budapest.
Dans cette Russie enfin explorée, Bond va rencontrer le Ministre de la Défense russe, Dimitri Mishkin qui doit son nom au protagoniste bon, parce que naïf, de L'Idiot de Fiédor Dostoïevski. Fidèle à ce personnage, le ministre russe est un homme prudent, sage qui croit naïvement à la loyauté de son Général avant que Bond et sa nouvelle amie, une programmeuse, ne lui prouvent l'implication du Général dans le massacre commandité à la base de Severnaya. Il est joué avec calme et brio par le français d'origine turque Tchéky Karyo, connu entre autres pour ses rôles d'espion dans Nikita et de méchant dans Bad Boys.
Le Général à la solde de 006, c'est Arkady Ourumov que M présente à Bond comme un homme convoitant la place de Staline. Sorte de nouvel Orlov, il se fait complice de Travelyan pour détruire l'Angleterre, refusant l'échec de l'URSS et la chute du Mur de Berlin. Sa foi en son nouveau maître ne vacillera que lorsque Bond lui apprendra que Janus est un cosaque de Lienz, c'est à dire un traître aux yeux d'Ourumov. Présenté au début du film comme l'assassin de 006 que Bond désire vengé, il apparaît comme son homme de paille et principal exécutant qui va voler l'hélicoptère Tiger français résistant aux impulsions électromagnétiques puis investir la base qui conserve le Goldeneye pour le livrer à 006. Ce méchant vaut surtout par son physique particulier et ses étranges mimiques que lui donne son interprète allemand Gottfried John, connu dans son pays pour ses participations à la série Un cas pour deux et France pour être le premier Jules César de la saga live adaptant les aventures d'Astérix dans Astérix et Obélix contre César.
Toujours en Russie, le producteur de la saga Michael G Wilson fait un de ses caméos les plus visibles et les plus célèbres à la table des conseillers de Mishkin.
Faîtes l'amour, pas la guerre !
L'Angleterre est un bon nid à James Bond Girls. Miss Moneypenny revient jouée par Samantha Bond(Erik le vikiking, Downton Abbey). L'actrice au patronyme prédestiné remplace avec conviction la candide Caroline Bliss sans arriver au génie de son aînée Loïs Maxwell. Elle livre néanmoins une interprétation jouissive et taquine de la secrétaire de M qui va jusqu'à menacer Bond de l'attaquer pour harcèlement sexuel pour le contraindre à passer aux actes. Personnage inédit, Caroline, sorte d'inspectrice du permis made in MI6, censée évaluer Bond, propose un charme et un physique davantage britannique pur. Bureaucrate agaçante, elle est incarnée par Serena Gordon (Queenie) qui joue son rôle à la perfection.
La Russie offre aussi à Bond deux sublimes James Bond Girls. Si aucune des deux actrices n'est réellement russe, l'illusion est bonne et les personnages aussi forts que sexy.
Xénia Onatopp, "Tout dépend de ce que vous appelez sexe sans risque"
Dès la fin du générique, Bond est un homme partagé, déchiré entre deux femmes à séduire. Caroline s'avérant une rond-de-cuir ennuyante, 007 jette son dévolu sur une belle brune en Ferrari qui l'entraîne dans un jeu de course de voiture sur les routes en colimaçon de Monte-Carlo. Monte-Carlo où il la retrouve au casino pour la vaincre au baccara.
Cette belle brune fatale, c'est Xénia Onatopp qui porte bien son nom puisqu'elle s'offre aux hommes - Xenia signifiant "ce qu'on offre aux invités" en grec ancien - mais veut toujours avoir le dessus - on a top signifiant sur le dessus en anglais. La séduisante géorgienne a un caractère très affirmé et rejoint une figure déjà imaginée dans Tuer n'est pas jouer, celle de l'agent russe tuant ses victimes en les écrasant entre ses cuisses. Xénia Onatopp fait l'amour en tuant ses partenaires.
C'est tout le défi de son interprète néerlandaise, Famke Janssen, connue pour ses rôles de Jean Grey dans X-Men, de Rachel Wright dans I Spy ou encore de Lenore Mills dans la trilogie Taken. Ce rôle de sado-masochiste sauvage et cruelle qui pousse des cris de jouissance lorsqu'elle mitraille des gens ou leur brise les côtes entre ses cuisses est difficile à rendre aussi crédible et aussi dérangeant. Loin de tomber dans un comique grossier qui eût fait l'écueil du rôle, Famke Janssen donne à Xénia une touche aussi terrifiante qu'attractive, pareille à un monstre épique du genre de la Méduse ou des sirènes. Le summum apparaissant dans sa dernière apparition, partiellement coupée dans certaines versions du film, où Xenia saute sur Bond pour l'écraser entre ses jambes et repousse dans le même temps les assauts de Natalya en la prenant au menton et en lui hurlant, se léchant les babines à l'avance: "Toi, t'attends ton tour !". Un personnage haut en couleur, incontournable, qui constitue à ce jour la meilleure prestation au cinéma de Famke Janssen, d'ordinaire si sage et si calme.
Natalya Simonova, "On dirait des voyous avec des joujous"
La James Bond Girl pro-Bond de ce volet, c'est la programmeuse de Severnaya trahie par son ami Boris, Natalya Simonova. La belle programmeuse est une pacifiste acharnée que les événements du film vont rendre plus rigide encore. De fait, ce personnage sert au mieux le message général anti-militariste d'un film où l'on ignore de combien de satellites ou d'avions on dispose, où les agents de la CIA préfère parler mécanique et jardinage, où les amis d'hier deviennent des ennemis mortels à cause d'une guerre passée qui les implique mais les dépasse.
C'est l'actrice suédoise d'origine polonaise Izabella Scorupco (Le Règne du feu) qui prête ses traits et sa voix à ce beau personnage humain qui allie froideur et sourire à la façon de Barbara Bach dans L'Espion qui m'aimait. Jupe ou treillis, peu importe, la belle programmeuse charme les yeux mais aussi le coeur des plus sensibles. S'emportant violemment contre la guerre, se méfiant toujours de Bond qui reste pour elle l'incarnation d'une guerre qu'elle rejette. Izabella Scorupco se fait connaître grâce à ce rôle mais n'obtiendra que peu d'autres, malheureusement.
Entre Russie et Etats-Unis, Bond pourra aussi compter sur des alliés de choc masculin moins tatillons.
Epanode d'alliés pour 007
En rhétorique comme en style figuré, une épanode consiste à annoncer de façon synthétique plusieurs éléments que l'on reprend par la suite un par un.
Et c'est bien une structure épanodique qu'ouvre Goldeneye en mettant en scène dans le même film - ainsi que votre serviteur dans sa critique - deux alliés de Bond que les deux films suivants feront apparaître séparément.
Jack Wade, "Il vous arrive de jardiner, Jimbo?"
Après la torture infligée à Félix Leiter par Franz Sanchez dans Permis de tuer, l'ami américain de Bond, amputé partiellement, ne peut plus retourner sur le terrain. C'est pourquoi Martin Campbell invente le personnage moins cynique et plus baba-cool de Jack Wade. Plus pépère, aimant à raconter ses histoires de couples et de jardinage en réparant au bonheur la chance le moteur de sa voiture, le nouvel agent de la CIA opère une synthèse entre Leiter et le sergent J.W.Pepper. Il est incarné par un Joe Don Baker vieilli, assez différent de son personnage de Brad Whitaker dans Tuer n'est pas jouer.
Toujours hilarant, il permet de détourner sans froisser certains lieux communs de la saga. Le meilleur exemple est celui de la scène de mots de code. Bond, arrivé à Saint-Pétersbourg, s'approche de lui et lui glisse à l'oreille: "A Londres, Avril est un mois printanier.". Jack Wade refuse de se prêter au jeu et le qualifie de rosbeef avaleur de parapluie.
Jack Wade will return in Tomorow never dies.
Valentin Zukovsky, "L'économie de libre échange, je crois bien que ce sera ma mort !"
Ancien adversaire de Bond dans des aventures inconnues du public, Zukovsky entre en scène en ennemi comique de 007. Le pauvre bougre, ex-agent du KGB devenu trafiquant et directeur d'un nightclub miteux, boite d'une jambe car James Bond lui a tiré dessus par le passé.
Goldeneye rapproche les deux adversaires pour en faire des alliés et Zukovsky aiguille Bond vers Janus. Il est en effet connu pour être le seul qui "fasse un bras d'honneur" au gangster recherché par 007.
Valentin Zukovsky est l'un des personnages les plus drôles et les plus réussis de la saga, de son entrée dans Goldeneye jusqu'à sa mort deux volets plus tard. Son style malchanceux, comique et son embonpoint lui sont donnés par l'incomparable Robbie Coltrane, plus connu pour le rôle du géant Hagrid dans la saga Harry Potter ou pour son rôle proche de Zukovsky dans Oceans Twelve. L'acteur britannique fait hurler de rire à la moindre de ses répliques et laisse derrière lui dans Goldeneye le seul regret de ne pas le voir apparaître plus longtemps.
Valentin Zukovsky will return in The World is not enough.
Bond et ses collègues
Le James Bond nouveau est arrivé !
Avec Goldeneye entre en scène un nouvel acteur dans la peau du célèbre espion: Brosnan, Pierce Brosnan.
Repéré à l'origine sur le tournage de Rien pour vos yeux lorsqu'il y accompagnait sa femme Cassandra Harris qui jouait la Comtesse Lisl von Schlaf, il ne put reprendre le rôle à l'époque de Tuer n'est pas jouer, déjà pris par le tournage de la série Remington Steele dont il était la vedette. De retour en 1995, le voilà prêt pour le rôle, à s'avancer dans la bande-annonce en déclarant ironiquement: "Expecting someone else?"
Son parcours jusqu'à James Bond ressemble beaucoup à celui de Roger Moore lui-même lié par contrat à d'autres séries avant de pouvoir se transformer en 007. Rien d'étonnant alors à ce que Pierce Brosnan lui ressemble dans une part de son jeu, se faisant une sorte de Roger Moore plus sérieux et aux cheveux plus noirs. En réalité, l'acteur irlandais a la bonne idée de composer une synthèse dosée de ses prédécesseurs qu'il maîtrise à la perfection dans Goldeneye. Une synthèse évidemment appropriée qui à force de l'être à chaque film toujours plus s'usera. Dans Goldeneye, on est loin du James Bond de Brosnan soupirant à chaque réplique pour se donner du genre.
Pierce Brosnan reste en 2016, bien que la plupart de ses volets soient perçus avec le recul comme de piètre qualité, le James Bond le plus apprécié du public féminin. J'ai des amies nombreuses qui peuvent en témoigner.
"On dit que le nouvel M est une lady ?"
Oui, Monsieur Zukovsky, le nouvel M est une lady. Après Miles Messervy (et, pour ceux qui le pensent, Marian Hargreaves), voici un M féminin. Fruit des exigences du quota, des lobbies féministes ou tout simplement volonté d'innovation, on l'aime ou on le déteste. On pleure ou l'on exulte à la fin de Skyfall, c'est selon.
Toujours est-il que Dame Judi Dench arrive à imposer son personnage d'Barbara Mawdsley et à créer même une aura de mystère autour de l'identité de son M. Dans Goldeneye, elle cherche avant tout à légitimer son personnage en lui insufflant une autorité charismatique palpable et indéniable mais aussi en s'adressant à un Bond sceptique, mise en abyme du spectateur: "Vous ne m'aimez pas, Bond, je le sais". Dans cette première scène d'entretien privée entre l'espion et son nouveau chef de service se joue l'acceptation ou non du M féminin par le spectateur. Froide et rigoureuse comme le M masculin, elle sait aussi montrer son humanité et confiance en Bond avec la furtivité de ses prédécesseurs. On ressort en général convaincu de son bureau à la suite de James Bond. Mais on peut déplorer sa volonté d'ancrer son personnage dans une situation familiale affirmée et qui s'affirmera toujours plus jusqu'à son discours final de Skyfall là où le personnage de Bernard Lee savait garder jalousement les détails concernant sa vie privée. M et M, une métaphore des droits à la vie privée avant et après internet?
" Et comment va ce vieux Q ? Il mijote toujours ses petits coups peu avouables?"
Oui, Alec, Q est aussi de retour et toujours impeccablement joué par un Desmond Llewelyn plus drôle et plus efficace que jamais !
Au programme de ce dix-septième volet, une Aston Martin DB5 dont le lecteur de disque fait aussi fax, une BMW Z3 avec missiles stingers sous les phares, une ceinture-harpon, une montre émettant un rayon laser et un stylo explosif dont nous n'oublierons jamais le système du nombre de clics. Ou pas.
L'éternel second
Goldeneye en profite pour rajouter un personnage apparu jusqu'ici à deux seules occasions: dans L'Homme au pistolet d'or (joué par Michael Goodliffe en 1974) et dans Rien que pour vos yeux ( joué par James Villiers en 1981) où il remplace M qui est "absent".
Il s'agit de Bill Tanner, le chef d'état-major de M, qui prend de l'importance à partir de Goldeneye pour devenir un personnage présent dans chaque film avec Casino Royale.
Dans Goldeneye, c'est Michael Kitchen (La Maison Russie) qui le joue et surtout qui le construit. Peu cerné et peu représenté, le personnage était protéiforme. Kitchen lui donne une identité plus claire de second de M toujours dans son ombre que Rory Kinnear saura reprendre tel quel.
Le James Bond le plus mauvais en géographie
Avec Docteur No, James Bond avait créé un précédent en faisant prononcer deux adresses différentes pour un même lieu. Dans Moonraker, pour des raisons d'onirisme latent, James Bond revisitait la Californie à la française et mêlait la place San Marco et l'île de Murano.
Mais dans Goldeneye, Bond dépasse les bornes. Et souvent en donnant l'impression de ne pas le savoir et de façon purement gratuite pour sacrifier au style comme aux contingences. C'est là d'ailleurs le point le plus faible de Goldeneye.
On l'a vu plus haut, un parc hongrois devient un parc russe en plein Saint-Pétersbourg. Mais il y a surtout le lieu majeur de ce volet, le complexe de Severnaya qui renferme les commandes du Goldeneye, perdu au beau milieu d'un désert de glace, de neige, d'où l'on part que sur des traîneau tirés par des huskies. Répondant en réalité au nom de Severny, il s'agit d'un archipel certes montagneux, certes enneigé en hiver mais situé bien plus près de la mer que ne le présente le film !
Un James Bond mythique
Goldeneye reste néanmoins un James Bond mythique à plus d'un titre.
Par son casting exceptionnel, par son esthétique unique, par sa présentation de la Russie, par la résurrection de 007 qu'il opère.
Mais il vaut aussi par son réalisateur, Martin Campbell capable du meilleur - Le masque de Zorro, par exemple - comme du pire - Green Lantern. Ses deux expériences bondiennes sont concluantes même si Goldeneye laisse transparaître sa volonté d'iconoclasme perpétré avec Casino Royale. Campbell ronge son frein, respecte le matériau de base de la saga EON pour réaliser un vrai Bond dans toutes les règles de l'art. En somme, Martin Campbell est un Picasso bondien et Goldeneye est sa période bleue avant le cubiste Casino Royale.
C'est aussi le film duquel est dérivé le célèbre jeu de tir FPS de 1995 qui a créé le mode multijoueurs à écrans partagés. Un jeu qui a fait date dans l'histoire vidéo-ludique et dans la saga des jeux adaptés de James Bond. Ce qui rend Goldeneye mythique à plus d'un titre puisque la version Goldeneye reloaded récente cherche, en le glissant à la place de Brosnan dans l'intrigue, de faire entrer Daniel Craig dans la légende.
Un très bon volet des aventures de 007 bâti sur une bonne histoire présentée de façon un chouya commerciale et simpliste mais qui reste dans les esprits, dans les mémoires et dans les coeurs !
"Cette fois, M. Bond, tout le plaisir sera pour moi !". Je vous rejoins là, chère Xénia.