David Fincher, définitivement passé dans le vingt-et-unième siècle, décide depuis quelques temps de faire des films aseptisés (The Social Network, Millenium, voire même House of Cards chez Netflix), laissant de côté son maladroit côté tapageur (Fight Club, Seven). Résultat : sans tomber du tout dans le contemplatisme absurde, ses films en ressortent grandis, empreints d’une froideur impressionnante, aidant largement au propos des réalisations. Je veux parler ici du thriller technologique qu’est The Social Network, où Aaron Sorkin fait vibrer les dialogues autour du créateur de Facebook ; Millenium, de par son sujet, est moins universel, moins moderne, et en revanche beaucoup plus intime avec ses hommes qui n’aimaient pas les femmes. Là encore, la photographie hallucinante de Fincher a contribué largement à mon appréciation du film.
Quid de Gone Girl donc ?
On pourrait faire un raccourci en synthétisant les deux films cités plus haut pour avoir les thèmes généraux abordés par Fincher dans sa dernière réalisation : le fait divers qui prend une dimension globale. La disparition mystérieuse de l’épouse dans un couple en apparence modèle réveille une petite ville puis un pays entier. Ben Affleck trimballe sa molle carcasse dans ce micmac invraisemblable, certifiant qu’il n’a rien à voir dans l’affaire. Difficile de convaincre quand tout semble l’accuser…
Ayant toujours eu une méfiance presque maladive envers tout ce qui se revendique antisystème (d’où mon aversion pour Fight Club), les thèmes abordés dans Gone Girl n’étaient pas pour me rassurer : la place des médias dans la société américaine des années 2010, l’impact de la crise économique sur la haute classe moyenne, le mariage, et même les théories du complot. Pourtant, j’ai été absolument retourné par l’intelligence avec laquelle le réalisateur réussit à faire passer sa douce, subtile, mais violente critique de la société du spectacle américaine.
Le film commence pourtant presque de manière anonyme, par un fait divers. On ne dépasse pas le cadre de la communauté semi-urbaine. Néanmoins, dès les premiers éléments de l’enquête, la police convoque une conférence de presse, faisant jouer la notoriété dont jouit la disparue, inspiration de nombreux livres pour enfants. La machine médiatique est lancée et ne s’arrêtera plus. Des réseaux sociaux aux grands reportages en passant par les selfies et les entretiens-vérité d’un mauvais gout certain, Fincher fait admirer son portrait glaçant à une Amérique fière d’elle-même, tellement premier degré. Dans un pays qui cherche des héros et des martyres avant de s’intéresser à l’humain, la critique du réalisateur est efficace et vise juste (le fait qu’Amy disparaisse un 5 juillet, le lendemain de la fête nationale américaine n’est sans doute pas dû au hasard). Là encore, je le répète, comme je l’avais dit pour d’autres films auparavant (Le Loup de Wall Street, Her), l’intelligence des grands cinéastes, à mon avis, n’est pas de présenter l’immoralité d’une chose, mais bien l’amoralité. Nul besoin de tomber dans un pathos facile pour faire comprendre simplement au spectateur le message que l’on veut faire passer. L’apparence ultramoderne du film (qualité d’image, beauté des décors, ambiance sonore de Trent Reznor et Atticus Ross délirante) participe sensiblement à rendre amoral la missive virulente de Fincher. Ce dernier s’y était d’ailleurs plutôt habilement attaqué lors de ses passages à la réalisation de House of Cards, dépeignant là encore un environnement immoral de manière amorale, sans avoir à juger du bien ou du mal. En clair, de ce côté-là, Fincher convainc facilement, l’intelligence de la réalisation, de l’écriture et du propos aidant plus qu’autre chose.
Sans entrer dans les détails de peur de spoiler un film qui ne mérite pas de l’être, j’ai bizarrement, malgré ce que je viens de dire, davantage aimé la première partie du film que la seconde. Les deux sont séparées par un habile twist de milieu de film, inversant totalement la perception que l’on avait de l’intrigue et surtout des personnages. Le twist en lui-même est étonnamment simple et vu plusieurs fois dans maints films (Rashomon, The Usual Suspects) et part de la perception que l’on a de la narration qui est faite du et par le film. Ceux qui ont vu le film sauront de quoi je parle, les autres n’en seront que plus déboussolés.
La seconde partie m’a un chouia moins plu, peut être parce qu’elle tombe dans le côté ‘Socialnetwork’-esque de Gone Girl, à savoir une thrillerisation moins habile que ne l’était la première partie, plus axée fait divers et enquête. On retrouve néanmoins tout le propos très critique de Fincher sur les médias, axant sa critique sur la partialité du système, comme par exemple par le fait de sortir des informations de leur contexte pour rendre finalement inaudible la vérité. La juxtaposition de l’emballement médiatique avec le poids du secret intime du couple est intéressante et habilement mise en scène, notamment dans les dernières scènes.
Avec Gone Girl, Fincher fait du bon Fincher, laissant tomber le côté nihiliste prétendument révolutionnaire de Fight Club voire Seven. La facilité de l’écriture et l’aisance dans la réalisation, pierres angulaires de sa carrière, semblent être parvenues à des niveaux remarquables. De là à penser que Gone Girl est son film le plus abouti tant sur la forme que sur le fond, il n’y a qu’un pas qu’on serait bien tenté de franchir.