La guerre du Vietnam (n’)est terminée (que) depuis douze ans, et son échec reste fortement imprimé dans les esprits des Américains quand ce film sort en 1987, la même année que "Full Metal Jacket" de Kubrick ou "Hamburger Hill" de John Irvin.
Mais c’est la première comédie dramatique sur le sujet, qui se joue dans le milieu de la radio aux armées, avec un animateur peu conventionnel.
Et l’on n’y entend pas « Paint it, Black » des Rolling Stones, car l’action est censée se passer en 1965 (le morceau date de 1966).
Il n’y a pas réellement d’équivalent français aux DJs, ces animateurs de radio qui alternent musique populaire et show parlé. Certains sont souvent musiciens ou acteurs eux-mêmes, tel Webb Wilder, grand guitariste chanteur du Mississippi avec Ray-Ban et Stetson. Je l’ai vu en concert, essayant de réveiller un public de moules de bouchot en disant « J’aime la France ! Maurice Chevalier ! Claudette Colbert ! » = no reaction…
Robin Williams, acteur mais également humoriste, a par la suite participé à de nombreuses tournées pour soutenir le moral des troupes américaines engagées à l’étranger dans les "guerres" suivantes – la réalité rejoignant la fiction.
Le vrai Adrian Cronauer, décédé en 2018 (après Robin Williams) a vécu au Nam des choses légèrement différentes de celles relatées dans le film.
« Oui, j'ai voulu que les militaires croient qu'ils écoutaient une station de radio située aux États-Unis, avait-il déclaré lors d'une entrevue en 1989. Oui, j'ai eu des problèmes avec la censure militaire américaine. Et oui, j'ai commencé chaque émission en criant: "Good Morning, Vietnam!"». Il a confirmé avoir donné des cours d'anglais à Saigon, en dehors de ses heures de travail, comme son personnage fictif, mais ne s'être jamais perdu dans la jungle. Il n'a pas été évincé de l'armée, et son départ était bien prévu.
On pourrait au début accuser le personnage de Cronauer du syndrome du "white savior" - avec une mauvaise motivation pour faire connaissance de la population locale : la drague – mais il adopte finalement un comportement plus proche de celui de certains Français en Indochine (ayant beaucoup discuté avec des vétérans, j’ai retrouvé des anecdotes similaires) que des Américains conquérants dans sa tentative d’approche d’un "ennemi" plus humain que la plupart des gradés.
L’humour juif du réalisateur transparaît nettement, de mon point de vue - un ajout de plus à l’histoire "vraie " - dans la fraternisation des personnes hors normes et la multitude de répliques hilarantes et fort bien traduites. La nourriture, la musique et le rire sont là encore des langages universels.
On peut toutefois se demander qui sont les grands enfants aux yeux de qui…
Le seul point me semblant enjolivé est celui des relations entre Noirs et Blancs, qui n’étaient pas idylliques sur le terrain, même s’ils se sont progressivement mis à écouter la même musique, passant du blues et de la polka à la soul et au rock… et souhaitant tous rentrer vivants à la maison, dans ‘Le Monde’ = partout ailleurs sauf là !
« Un mec qui te raconte que Pat Boone est génial est forcément à la masse »
Toute la bande son est diégétique (les morceaux font partie de l'action, puisqu'ils sont entendus par les personnages du film) hormis à la fin pendant la partie de baseball.
En effet, nous sommes à la radio, alternant la vie des studios (et la description de tous les métiers) et celle des soldats qui l’écoutent. Ce n’est pas un hasard s’il y a parfois de sérieux contrastes entre par exemple « What a wonderful world » d’Armstrong ou « I feel good » de James Brown et les images de villages passés au napalm…
Cela n’est en rien superficiel – j’ai vu le film au moins 5 ou 6 fois, et je découvre encore de nouvelles références ou subtilités cachées. Mais cela nécessite une indubitable connaissance de ce conflit.
Je me souviens avoir lu dans la revue NAM que « Puff the Magic Dragon » était le surnom donné aux avions/chasseurs d’attaque AC-47 qui "défendaient" le territoire avec moult lumières multicolores, bruits terrifiants, et fumée. La nuit, ils maintenaient sous un barrage de feu (avec des balles traçantes lumineuses rouges) constant les troupes ennemies et fournissaient un éclairage. Ils opéraient souvent sous l'indicatif d'appel radio Puff.
(Le véhicule blindé M113 était lui surnommé le dragon vert par les autochtones, parce qu’il vomissait des flammes et labourait la terre).
Ce n’est pas moins efficace en apparence qu’une chevauchée de walkyries…
L’allusion à la chanson enfantine de Peter, Paul & Mary est donc cynique dans la bouche de la jolie Trinh, mais incomprise par notre "héros" quand il lui demande quelle musique américaine elle connaît…
C’est à mon avis la scène clé, concernant selon les paroles la perte de l’innocence, et notre DJ va vite perdre la sienne quand la cruauté de la guerre le rattrape, à peu près à mi film. Comme le dit le personnage incarné par Forest Whitaker : «Une vie risquée vaut mieux que de ranger des râteaux par taille».
La plus émouvante est quand il rencontre ses fans partant en opération et improvise un laïus.
Il faut rappeler que pour chaque combattant, il y avait environ 5 ou 6 planqués à l’arrière, dans le genre du personnel de la radio, avec des supérieurs parfois dangereusement incompétents. Leur rigidité toute militaire et leur prétendue rigueur morale ne pouvaient guère remonter le… moral des jeunes appelés, dont l’âge moyen était de 19 ans. Cronauer ayant la bonne trentaine, il incarnait presque une figure paternelle mais non autoritaire.
Tout ceci, le film, ces musiques, posaient déjà avec acuité ce qui fait encore débat aujourd’hui : un objet culturel ne doit-il être qu’un simple divertissement, ou doit-on, au risque de se faire éjecter en bravant la censure, proposer en plus de l’information et de la réflexion ?
Spéciale dédicace à tous ceux qui ont du mal à supporter Robin Williams ;-)