« Le César du premier film, c’est vraiment un concept condescendant », sifflait Daniel Andreyev dans le dernier épisode de Super Ciné Battle. L’indignation touche d’autant plus au sortir d’œuvres rafraichissantes comme Grave : statut de coup d’essai mais stature « coup de poing ». Pas l’expression galvaudée par la critique, placardée au dos de jaquettes de DVD mais la force, au sens littéral, de parvenir à imposer du cinéma de genre en France sans (po)lissage. D’exploser la tronche d’un sujet aussi tabou que la baptême estudiantin armé d’une métaphore osée. De persévérer par-delà les étapes-écrans des processus de coproduction à rallonge pour marteler en filigrane, à terme, son message militant.
Grave parle à la fois de la compétition tendue des études, sur fond de concours sans concert, et de la maltraitance animale, du concret de son cours. Ce brûlot choisit un seul vaisseau : une apprentie-vétérinaire balbutiante dont le corps sert de punching-ball au récit. Peinturluré, meurtri, sali. La « bizu » – on aurait préféré entendre « bleu », comme chez nous : de nombreuses scènes ont été tournées sur le campus de l’Université de Liège – en prend pour son grade, dégradée à chaque tentative de configurer sa féminité. Ces chocs servent un propos puissant mais déboulent toujours sous la même forme. Certains rangent Grave dans le tiroir de l’horreur : à part un souci du détail sanglant, il ne faut pas y chercher de l’effroi cinglant. Le développement de l’héroïne, attendu, s’y décline moins sur le modèle d’une vengance Tarantinienne que d’une transformation en loup-garou – linéaire, héréditaire et fixée dans l’espace-temps.
Sans doute que ce premier film de Ducournau résonnera particulièrement pour les étudiants liégeois. La réalisatrice a davantage joué le pari de l’universalité. La critique, Cannes et tout le barda semblent lui donner raison. Mais l’œuvre semble tellement avoir saisi l’essence de la fête qui s’y trame – ces plans-séquences de soirées qui rappellent les embruns en perdition du Victoria de Schipper – qu’on se sent curieux de le voir s’y vautrer de plus belle. L'histoire pousse à bout sa mythologie monolithique, jusqu'à éroder la surprise qu'imprime les mutations de son héroïne.
Moins récit d'apprentissage qu'affaire d'ambiance, Grave se pare d'effluves pessimistes, de brumes glauques qui semblent emprisonner ses figures dans leur posture-impasse (le gay refoulé, la fille timorée). Ses chapes de synthétiseur baroques rappellent l'envoûtant Gang bang paru l'année dernière, avec lequel il partage un regard compatissant sur une jeunesse écorchée vive. Face à l’œuvre d'Eva Huson, également premier long-métrage, la vision de Ducournau agit comme un penchant sombre, romantique – au sens mélancolique du terme. Ces deux réalisatrices affichent finalement la même qualité : un appétit incandescent de cinéma. Bien plus vorace et mobilisateur que celui qui anime les productions françaises des « pas-premier-film », installés dans des charentaises poussiéreuses.