"Si vraiment une chanson pouvait changer le monde, la musique aurait été interdite depuis longtemps" cette citation dont j'ai oublié l'auteur, peut-être Bob Marley, pourrait être transposée au cinéma. En effet, si je reconnais au cinéma et à l'art en général, une certaine vertu de témoin ou informative sur des sujets importants de notre société, je crains hélas que jamais une œuvre de fiction n'aura le pouvoir de faire évoluer les mentalités.

La crise migratoire, qui polarise le débat public avec schématiquement d'un côté les personnes souhaitant voir les politiques et l'accueil des réfugiés assouplis et de l'autre au contraire ceux exigeant plus de moyens pour garder les frontières, en dépit des drames humains qui se jouent chaque jours. Ne nous illusionnons pas le film ne fera pas bouger les lignes, ou comme moi vous êtes intimement convaincu que la fermeture des frontières est un crime humanitaire organisé en haut lieu ou vous pensez que notre tranquillité passe par le durcissement des conditions d'accès à notre sol.


Une fois ceci posé qu'en est il du film à proprement parler ? Pour moi c'est pas loin d'être une perfection. Tout d'abord, le film se focalise sur une route migratoire qui est éclipsée par celle passant par la mer Méditerranée mais qui se révèle aussi mortelle et dangereuse que la sus citée, avec en plus un jeu de manipulation orchestrée par la Russie et son allié biélorusse avec pour intention évidente de se servir des migrants pour déstabiliser l'union européenne. Un aspect que j'ignorais et qui est ici évoqué avec beaucoup de finesse mais aussi aucune forme de pudeur. Les choses sont exposées frontalement et renvoies dos à dos les décisions politiques des différents camps, l'union européenne n'est pas épargnée et les conséquences dramatiques de ces décisions nous sont montrées pleine face.


Jouant la synecdoque en suivant une famille syrienne et une réfugiée afghane pour illustrer le drame de milliers de personnes jetées sur les routes de l'exode, souvent à cause de situations sur lesquelles ils n'ont aucun contrôle possible. Petit groupe qui plein d'espoir en de lendemains plus cléments se retrouve coincé et le jouet manipulé de deux rivalités politico idéologiques dans une zone de non droits, une zone où les plus élémentaires droits de l'homme ont été supprimés où la loi du plus fort, celle des polices prévaut, où la source des trafics humains nait, où l'entraide entre migrants se heurte aux coups et rackets odieux menés par les représentants de l'ordre et de la loi. En contrepoint on suit également un petit groupe d'activistes qui essaient autant que possible d'apporter l'aide et l'humanité qui manque à ces situations dramatiques.


La nature inhospitalière ajoute à la difficulté, entre forêts profondes, marécages inextricables et températures hivernales, comme un ultime coup du sort. Une dernière insulté, une dernière porte claquée au visage des ces hommes, femmes et enfants dont on nie l'humanité. Les termes employés par les gardes frontières sont d'une rare violence et heureusement que le film tempère cela en soulignant avec beaucoup d'intelligence les petits et rares moments où les protagonistes par de simples gestes d'amour et de fraternité redorent un peu la nature humaine.


Le film est difficile de par son sujet, mais il est nécessaire en dépit de ma réserve sur son efficacité à changer les opinions et les politiques migratoires, mais quelle claque !


Alors pourquoi ne pas lui mettre une note encore plus élevée ?

Pour deux choses qui tiennent du formel. La première étant que je sature des films à chapitres, pour moi c'est devenu une facilité de réalisation qui est une insulte à mon intelligence de spectateur, je suis en capacité cognitives de comprendre par le montage lorsque le film change de point de vue, quand on suit le récit selon l'angle des réfugiés, des militaires ou des humanitaires. Dorénavant tel un prof insupportable j'enlèverai d'office un point aux films chapitrés !

Le second point qui me gène tient dans le choix du noir et blanc, que la réalisatrice justifie par l'envie de créer un parallèle avec un autre épisode sombre de l'histoire moderne lui aussi s'étant déroulé en Pologne, la shoah. Elle explique avoir voulue relier les points communs, les regards apeurés, la violence, les camions, les exécutions etc. je trouve que ça ne fonctionne pas, le noir et blanc très travaillé finit selon moi par esthétisé de façon embarrassante le propos pourtant d'une gravité abyssale et encore une fois j'ai assez de conscience et d'intelligence pour voir de moi même les parallèles qui existent entre ces deux moments sombres de l'histoire à commencer par les origines racistes des drames décrits.

Créée

le 19 août 2024

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