Sweet home
Il en faut parfois bien peu pour faire basculer un film d'un genre à un autre, quelques silences, une introduction un peu plus longue, un personnage au caractère un peu moins abrupt qu'à l'accoutumée...
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le 29 mai 2024
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Aide-soignante à domicile, Moon-jung (Kim Seo-Hyung) s’occupe d’un couple de retraités, lui quasiment aveugle et elle avec des crises de paranoïa dont on finit par apprendre qu’elles sont la conséquence de la maladie d’Alzheimer. Nous voilà donc immergés dans l’univers des personnes en fin de vie, confrontées à une déchéance subie et redoutée. La première partie du film nous permet d’en savoir plus sur Moon-jung qui vit dans une serre abandonnée (la maison verte désignée par le titre), protégée par un simple cadenas. Depuis combien de temps vit-elle là et pour quelle raison ? Peut-être à la suite d’une séparation précipitée.
A la recherche d’un logement plus correct, Moon-jung fait des visites d’appartements, mais ne semble pas pressée d’en choisir un. Par ailleurs, elle s’occupe de sa mère également atteinte de la maladie d’Alzheimer. Celle-ci réside dans un établissement spécialisé, source d’angoisse pour Moon-jung. Celle-ci a un fils adolescent (quid du père ?) enfermé dans un établissement qui fait penser à une maison de redressement. Si on apprend qu’il devrait en sortir prochainement, on ignore pour quelle raison il y a atterri. Moon-jung vient le voir, alors que lui ne l’appelle jamais. A sa sortie, il ne veut pas revenir chez sa mère, alors qu’il représente ce qui lui tient le plus à cœur. Moon-jung présente donc quelques failles personnelles, même si on la voit tenir son rang tout à fait normalement dans son travail. Elle s’arrange même pour installer un téléphone portable pour que ses employeurs puissent discuter en visio avec leur fils, son épouse et leurs deux enfants. A cette occasion, on note que la femme de son employeur fait une crise alarmante. Moon-jung ne nie pas son malaise général, puisqu’elle se décide à intégrer un groupe de discussion de personnes apparemment en manque de confiance chronique. L’animatrice en fait un peu trop dans l’enthousiasme de commande, ce qui ressort dans sa façon d’utiliser la méthode Coué. A cette occasion la vulnérabilité de Moon-jung apparait nettement, avec une timidité qu’on ne lui avait pas vue dans d’autres circonstances. A ces réunions, elle fait la connaissance d’une jeune femme hypersensible qu’elle va tenter d’aider selon ses moyens. C’est probablement là qu’elle met le doigt dans un engrenage aux terribles conséquences.
Confrontée à un imprévu catastrophique, Moon-jung agit en fonction des circonstances qui lui apportent une nouvelle trop importante à ses yeux pour risquer de la gâcher. Malheureusement, elle fait alors un choix aux effets dévastateurs par ricochets successifs, que le scénario nous présente au fur et à mesure en les distillant savamment.
Greenhouse prend donc son temps pour donner corps au personnage principal, Moon-jung, que nous voyons s’activer non sans inventivité pour donner satisfaction auprès de son employeur, dans des conditions qui ne peuvent que devenir de plus en plus difficiles, ce qu’elle assume avec courage. Malheureusement, sa situation psychologique s’avère bien compliquée, ce que ses choix vont malheureusement accentuer. Le scénario appuyant là où ça fait mal, on arrive même à la conclusion qu’il faudrait, dans la vie, s’affranchir de toute faiblesse psychologique pour s’en sortir (d’où les masques qu’on ne tombe que fort rarement, l’hypocrisie générale, etc.) à plus forte raison en Corée du sud, où domine l’obsession de la réussite sociale. Bref, avec son premier choix, Moon-jung se place dans une situation où elle ne cherche plus qu’à se couvrir. C’est assez classique et bien dans la lignée des films noirs. Du fait de sa faiblesse psychologique, elle n’est plus capable de raisonner sereinement. Elle tente alors quelque chose de complètement délirant qui semble malgré tout fonctionner, parce que les circonstances le permettent et aussi, il faut bien le dire, parce que le scénario lui ménage quelques coïncidences favorables. Malheureusement pour elle, certains points lui échappent totalement. L’aspect machiavélique du scénario, c’est qu’il laisse d’abord espérer à Moon-jung qu’elle peut s’en sortir, pour mieux la piéger. En effet, ce sont ses choix qui vont la détruire psychologiquement.
La lenteur du film exaspérera les habitués des productions survitaminées qui longtemps se demanderont où la réalisatrice nous emmène. Il faut dire que la vie du couple d’employeurs de Moon-jung est bien ralentie par leurs handicaps. De plus Moon-jung est confrontée à son fils qui en gros refuse le dialogue et à sa mère qui est globalement dans le même état que la femme de son employeur. Lee Sol-hui (ici réalisatrice-scénariste) accentue cette lenteur par des scènes qui font bien sentir les difficultés des uns et des autres. Par contre, les quelques faits montrés de façon brutale, comme un clap de fin, ne peuvent que ressortir. L’impression globale est donc glaçante, à l’image de la dominante des couleurs froides, car Greenhouse profite d’une réalisation de qualité renforcée par la remarquable prestation de Moon-jung qui fait sentir aussi bien la bonne volonté de son personnage que ses failles et donc sa fragilité psychologique qui l’amène à prendre des décisions aberrantes. Peu de scènes en extérieur, pour ce film marqué par l’enfermement, aussi bien physique que psychique. Quant à la musique, les rares moments où on en entend, elle se fait franchement discrète. Pas mal de gros plans sur des visages, en particulier sur celui de Moon-jung, comme sur l’affiche, ce qui fait bien ressortir la détresse des uns et des autres. Le film montre et fait sentir combien il est facile d’abuser de cette détresse.
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le 2 juin 2024
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