Gremlins est né sous l'impulsion commune de Joe Dante et Steven Spielberg. Tous deux ont débuté dans les années 70 chez le producteur Roger Corman, qui avait pour habitude de laisser leur chance à des débutants. C'est avec lui que d'autres cinéastes comme Martin Scorsese et Francis Ford Coppola ont fait leurs premières armes. Pour Corman, Joe Dante a réalisé deux films. Le second, Piranha, est un dérivé des Dents de la mer de Spielberg où des poissons carnivores agressifs s'en prennent à des vacanciers. Au moment où Piranha allait sortir, Universal s'y est opposé. Pour plagiat ? Non, pour pognon : ils comptaient sortir Les dents de la mer 2 à la même période et n'entendaient pas vraiment partager l'espace maritime.
La solution viendra de Spielberg qui, après avoir vu Piranha, sera parti trouver les dirigeants d'Universal pour leur dire deux phrases assez limpides : "Ce film est bien. Fichez-leur la paix". Il aurait même ajouté que ce film-là est "le meilleur plagiat" de son long-métrage. Voyant en Joe Dante le candidat idéal, il l'embauche pour mettre en scène un script qui donnera le futur Gremlins.
Cela paraît difficile à croire mais au départ, Spielberg voulait faire de Gremlins un petit film d'horreur tout ce qu'il y a de plus sérieux. Le scénario a été écrit par Chris Colombus, futur réalisateur des deux premiers Harry Potter. Dans sa première version, Billy détestait Gizmo, et pour cause : initialement dépeint comme une créature odieuse, le bougre dévorait le chien de Billy et arrachait la tête de ses parents. A la fin, pour se venger, le jeune-homme tuait d'innombrables Mogwaï à coups d'épée avant d'y mettre le feu...
Le scénario subit donc de nombreuses réécritures et c'est en Janvier 83 que Colombus en termine...la sixième version. Définitive ? Loin s'en faut. En Février, Spielberg fait une suggestion de dernière minute : "Et si Gizmo ne mourait pas ?". Aux ordres, Colombus va se remettre au travail sur une septième version. Mais le fait que Gizmo soit dans le camp des gentils, pilier essentiel du succès de Gremlins, est donc une idée du producteur.
Pour comprendre à quel point le metteur en scène de Sugarland Express était impliqué dans le processus créatif, il faut savoir que c'est également lui qui a souhaité que Gizmo soit davantage la star du film que Billy. A l'origine, lors du climax, c'est Billy qui devait faire entrer la lumière et détruire le chef des gremlins. Spielberg insistera pour que de nouvelles scènes avec Gizmo soient tournées, la peluche prenant une part plus active à l'action.
Un peu paniqué lorsqu'il apprit ces modifications, Joe Dante s'adressa à Spielberg : "Qu'est-ce que je fais faire à Billy ?". Et le réalisateur de répondre : "Le public s'en moque, il veut voir Gizmo le faire". Il paraît loin, le film d'horreur premier degré que projetait Steven. Mais Joe Dante étant Joe Dante, l'anecdote révèle combien il a su digérer ces nouveaux éléments.
A ce sujet, impossible d'oublier le passage où Kate, la petite amie du héros, raconte comment son père s'est brisé le cou un 24 décembre en passant par la cheminée pour jouer au papa Noël. Une scène au départ idyllique, conclue par un dialogue très noir où la jeune-fille explique pourquoi elle déteste Noël, une période où "pendant que certains ouvrent leurs cadeaux, il y en a qui s'ouvrent les veines". La ligne a dû plaire à Joe Dante, sa verve iconoclaste désacralisant les fêtes hivernales à l'écran.
Pourtant, cette fameuse tirade était présente dès la première version du scénario. Nuance de taille, ces lignes de dialogues revenaient alors à Dorry, la barmaid. Autre détail important : elle évoquait ce souvenir dans une scène jamais tournée, lorsqu'elle et d'autres personnages se retrouvaient coincés dans un McDo où les gremlins ont mangé tous les humains mais boudé les hamburgers ! Pas de quoi atténuer la portée du récit une fois dans la bouche de Kate, un des dirigeants de Warner ayant dit après l'avoir vue qu'il ne savait pas s'il fallait rire, ou s'excuser d'avoir envie de rire...
Pour moi, tout le ton du film tient dans cette scène, explique Joe Dante. "Le studio l'a détestée immédiatement. Son président, Tony Semel, m'a passé le bras autour des épaules et m'a dit : "Si vous ne coupez pas cette scène, je la ferai couper par Steven, car il a le final cut". J'ai dit à Steven : "Tu ne peux pas me dire de la couper, tu es un cinéaste !". La scène ne lui plaisait pas non plus, mais il m'a soutenu. Il a reçu des lettres du studio insistant pour qu'il la coupe, mais il ne l'a pas fait. C'est tout à son honneur".
Néanmoins, malgré le soutien de Spielberg, Joe Dante était conscient des risques : "Pendant une longue période, Steven était au Sri Lanka et à Londres pour réaliser Indiana Jones et le temple maudit. Je me suis mis à travailler avec les gremlins, et j'ai découvert qu'ils étaient drôles, qu'ils ressemblaient à des gens. Nous avons inventé des tas de trucs. Mais je ne crois pas que Spielberg s'attendait vraiment à ce que Gremlins soit aussi chtarbé. Je me rappelle que j'étais assis avec lui dans la salle de projection de Warner Bros, et je l'ai vu, au rang derrière moi, se taper la tête pendant qu'il regardait le film. Il n'en revenait pas de voir à quel point c'était bizarre".
Bizarre ? Un mot qui colle tout aussi bien à l'aspect visuel du film, résultat d'un tournage rendu possible grâce à un certain Chris Walas, responsable des équipes d'effets spéciaux. Avant d'être sur Gremlins, l'homme avait travaillé sur Les Aventuriers de l'arche perdue et Le retour du Jedi. Un sacré CV. Malgré ça, il avoue que Gremlins a sans doute été l'expérience la plus incroyable de sa carrière professionnelle.
Ce sont Joe Dante et Mike Finnell qui l'ont contacté. L'idée originale de Dante pour créer les gremlins était d'utiliser des singes déguisés. Dans l'idée, pourquoi pas. Mais le jour où ils ont essayé de faire venir un primate et son dresseur, la bestiole a couru à travers le studio en démolissant tout ce qu'elle pouvait. S'étant ravisé, Joe Dante décide, d'un commun accord avec Chris Walas, que les créatures seront des marionnettes.
Techniquement, une scène synthétise assez bien l'ambition de Gremlins : celle où les affreux se regroupent dans une salle de cinéma pour regarder Blanche-Neige et les sept nains. Pour ce passage, l'équipe a utilisé toutes les marionnettes dont elle disposait. Les animer fut une autre paire de manches, les opérateurs devant se planquer sous les sièges, loin des axes de caméra, afin de gérer à la fois les animatroniques et quelques créatures remuées à la main.
Chris Walas s'est improvisé réalisateur de seconde équipe sur cette séquence, Joe Dante lui ayant donné carte blanche. Petit détail : il n'y avait en réalité que 60 sièges dans le décor où ils ont tourné la scène. L'équipe a fait de nombreuses prises, en changeant les costumes des bestioles et en leur faisant faire des actions différentes. C'est la société DreamQuest qui, lors de la post production, a assemblé ces plans entre eux à l'étape du compositing..
Un défi parmi d'autres au milieu d'une séquence thématiquement chargée. Malgré la blague, difficile de ne pas voir dans l'image du gremlin projectionniste celle d'un Joe Dante qui, cherchant à gripper la machine, lancera une bobine du premier Disney en couleurs, devant lequel ses congénères resteront ébahis. Film odieux accueilli à bras ouverts, Gremlins était bien un produit impossible à cerner avant d'être offert au public.
Le long-métrage sort aux Etats-unis en Juin 84 et devient le phénomène que l'on connaît aujourd'hui, avec des recettes considérables : le film récolte 100 millions de dollars en six semaines, un record pour Warner à l'époque. Les recettes des produits dérivés ne sont pas en reste : on trouve des jouets, des poupées, des livres, des jeux vidéo, et même des céréales et des pyjamas pour enfants à l'effigie du film.
Pour l'anecdote, Joe Dante a cherché dans les petits caractères de son contrat les détails sur sa part des produits dérivés. Et a fait chou blanc. Une injustice ? Certainement car malgré l'apport de Spielberg, Gremlins n'est pas le film d'un seul homme. Si c'est grâce au futur réalisateur de A.I. que Gizmo a été adopté par le public et que la tirade de Kate sur la mort de son père a pu survivre au montage final, c'est bien le mordant de Joe Dante qui permet aux enfants d'hier de savourer aujourd'hui ce film de monstre satirique.
Et si mon affection pour le second volet m'empêche de mettre une meilleure note à cet opus, c'est aussi parce que la séquelle sautera à pieds joints dans une surenchère nettement moins domptable.