On se demande encore ce qui est passé par la tête de Sir Ridley au moment de shooter cette séquelle, mais 15 ans après, Hannibal est toujours cet objet en roue libre incroyablement, et délicieucieusement vulgaire. Les Oscar remportés par Le Silence des agneaux ayant quelque peu occulté son statut de série B de prestige (c'est un compliment), le film de Jonathan Demme avait ouvert la voie pour une franchise solide, loin des expérimentations de Michael Mann et de son Manhunter, première apparition de Lecter à l'écran. Sauf que non, en fait...


Pas besoin d'un doctorat en écriture cinématographique pour saisir qu'Hannibal est un personnage à prendre avec des pincettes. Mettez-le trop en retrait, on croira à un énième méchant de James Bond, débitant des monologues dans une cage dorée. Sur-exposez-le, et c'est le meilleur moyen de le ridiculiser. Deux ans avant d'aller signer chez Bruckheimer pour La Chute du faucon noir, Scott était déjà devenu l'un des rois du box-officie avec Gladiator. La folie des grandeurs lui aura sans doute fait péter un câble.


Pour schématiser, cette suite tient à la fois du cinéma organique que Scott illustra si bien avec son Alien, de la brouette à Oscar susceptible de réitérer le hold up du premier opus, et du thriller globe-trotter. L'ennui, c'est que Scott semble vouloir contenter le monde entier ! A l'intention, c'est bien gentil, à l'écran, c'est hallucinant. Car le cinéaste ne mélange pas ces approches : il les shoote aux hormones de croissance avant de toutes les faire rentrer au forceps dans son mixeur. Quelle que soit la scène, le mec est à donf' et décrit tout par le menu.


L'histoire ne dit pas s'il avait déjà signé pour ce bourrin de Jerry au moment du tournage, reste que Scott ouvre son thriller psychologique par...une fusillade urbaine à l'ampleur digne d'un DTV bas de gamme. C'est foiré, mais c'est déjà à donf'. A l'inverse, le père Scott s'en ira cadrer l'architecture florentine avec l'insistance trop léchée d'un catalogue de voyages. Et quand il s'attaque à Lecter himself, c'est avec la même balourdise : l'équilibre entre classe et sauvagerie est rompu, les deux copulent et accouchent d'un personnage excessif.


En parlant de ça, le réalisateur de Legend est à ce point à l'ouest qu'il va jusqu'à marcher sur les planches d'Oscar Méténier, le père du Grand-Guignol, ces pièces fin XIXème-début XXème où les effets sanguinolents étaient poussés jusqu'au rire. Mais là encore, il s'agissait d'avoir un crédo et de s'y tenir. Farce involontaire, Hannibal est un film démesuré, salement généreux en tripes pour un film de studio, et refusant de saisir que c'est la retenue mâtinée d'horreur qui a assuré au Silence des agneaux sa place dans le coeur du public.


A vrai dire, il faut retourner chez Dario Argento pour trouver de telles outrances à l'italienne. Comme il n'a plus rien à prouver suite au carton de son péplum, Ridley arrose de tout ça d'horreur animalière (les cochons cannibales), fait de l'oeil au film de monstre (le bad guy défiguré) puis s'achemine vers un climax domestique qui flingue toutes les barrières entre effroi et humour noir. Vu que les deux tonalités veulent se piquer la place, Hannibal ne provoque qu'un plaisir coupable mais immense,
production cossue digne d'un bon vieux film d'exploitation racoleur.


Un OVNI ultra divertissant en somme, dont le statut est confirmé par des scènes coupées dont une, mémorable, où l'on découvre Hopkins vêtu d'un marcel (la classe absolue selon Ridley !), et en train de lécher langoureusement le volant de la bagnole de Clarisse ! Un vrai cas d'école ce Hannibal, et peut-être l'un des seuls films proposant du gore filmé de façon académique. Une schizophrénie foireuse et géniale dont on trouve des traces jusque dans le récent Cartel, autre cas d'école, plus abouti cette fois, mais au déséquilibre tout aussi flagrant.

Fritz_the_Cat
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le 25 juil. 2015

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Fritz_the_Cat

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