On peut oublier Mémento, Tenet, Benjamin Button et Irréversible, Oldrich Lipsky avait déjà tout inventé depuis Prague dans les années 60, en mieux, et en moins sérieux.
Le film commence par une tête coupée qui retrouve le corps auquel elle était associée, et s'achève par la naissance du héros : dans ce sens-là, le mari jaloux et meurtrier devient un vrai sauveur. Les dialogues post-synchronisés sont compréhensibles, mais se déroulent également selon l'ordre inverse de leur profération réelle, ce qui, là aussi, crée de multiples doubles-sens, à la fois comiques et spirituels. Tout le film est à voir (et à comprendre) de cette façon : d'un côté ET de l'autre, d'un côté par rapport à l'autre. (Le double-sens étant le motif central le plus flagrant de cet Happy End, ironique et pervers.)
Le génie de Lipsky est ne pas se laisser obséder, contrairement à Nolan, Fincher et Noé, par la remise en ordre du récit. Au contraire, une fois posé le principe de ce temps inversé, le cinéaste cherche plutôt à voir où vont le mener les scènes ainsi montées, ce qu'elles vont dire de ses protagonistes et de leurs actes (d'où une voix-off parfois un peu trop présente, mais qui crée avec le récit la distance la plus juste possible, empêchant le spectateur de trop penser à l'endroit). Il en résulte quelques scènes merveilleuses : l'enfant maigrit jusqu'à disparaître dans le ventre de sa mère ; l'amant déposé dans la rue par l'ambulance fait un bond de plusieurs étages pour se retrouver dans les bras du mari, sous le regard horrifié de sa maîtresse ; l'épouse découpée en morceaux est ré-assemblée par son mari, qui semble la créer de toute pièce ; l'homme restitue la femme à sa famille à l'issue du mariage, ainsi que tous leurs cadeaux ; la jeune femme un peu collante est jetée dans la maison en feu par son amant apprenti pompier...
Alors que tous les autres cinéastes ont tiré de l'inversion du temps des drames bien lourds, Lispky, lui, a fait une pure comédie, c'est-à-dire un film intellectuellement stimulant, qui offre toujours de multiples niveaux de lecture pour chaque scène et ne cesse d'amuser pour cette raison (en plus de celle, technique, de cette vie montrée à l'envers), et qui dit tout aussi bien le fantasme humain de renaître, faire échouer la mort, revenir sur tout ce qu'on a vécu pour tout changer...