Avec le succès planétaire des romans de Joanne K. Rowling, les investisseurs d’Hollywood flairent facilement le bon filon et mettent en branle la machine à adapter ce qui ne manquera pas d’être un carton plein. Vu l’âge et l’engouement du public, la promesse magique d’impressionnants retours financiers ne manque pas d’enflammer les industriels du rêve. Afin de pénétrer idéalement l’univers ensorcelé d’une franchise ouverte d’abord à l’attention des plus jeunes spectateurs, qui de mieux que Chris Columbus aux baguettes ? Habitué des productions à destination des jeunes publics, avec notamment Home Alone et Home Alone 2, le réalisateur américain embarque ses recettes sur les terres hantées de l’impérial royaume.
Tout le monde connait l’histoire et l’ouverture n’est pas mal réussie : en une courte séquence, l’ambiance est posée. Dans la nuit paisible d’une bourgade résidentielle anonyme, la présence étrange d’une chouette et d’un sorcier capturant la lumière des lampadaires. Suivis d’un chat discret. Les trois êtres, rejoints pas un géant, confient un orphelin à la seule famille qui lui reste
jusqu’à ce qu’il soit prêt.
Prêt à quoi ? la prophétie est vague.
Onze ans plus tard, le jeune garçon dort dans un placard sous l’escalier. Hébergé et élevé par son oncle et sa tante, souffre-douleur de son gras cousin, Harry Potter n’a aucune idée de l’univers fantastique duquel il est issu. Pour le plus grand bonheur des spectateurs, c’est l’heure pour lui de le découvrir. Assailli de courrier, il est invité à se rendre à l’école des sorciers.
Les introductions sont longues, trop longues.
Chemin de traverse, au cœur de Londres, et la magie commence enfin : passages invisibles, décors tarabiscotés, immeubles retors, établissement bancaire tenu par des gobelins,
le travail artistique, enfin, saute aux yeux.
John Hurt en sage fabricant de baguettes magiques… La gare et le quai légendaire. Poudlard bientôt, l’école : l’immense château magnifique, joyau de la superproduction – l’élégant et surprenant fantôme de John Cleese, des escaliers labyrinthes et capricieux, les innombrables peintures animées qui recouvrent les murs. L’habillage, presque intégral, du film répond aux attentes du public autant qu’aux exigences de l’œuvre originales et qu’à celles de la production. Travail magistral. À l’exception malheureusement de la séquence de quidditch, laquelle sue l’incrustation dégueulasse : les sportifs à balai dans le ciel paraissant à chaque plan baudruches mal gonflées, prêtes à se vider, effets spéciaux désastreux.
Le scénario, partant du matériau de base, se contente de retranscrire l’œuvre originale.
Trop de magie tue la magie ?
Là où le livre, accessible encore aux plus jeunes, trouve l’équilibre entre de belles descriptions, précises, et l’espace nécessaire à l’imagination du lecteur, le film comble tout ce qu’il peut des respirations originelles, comprime et dénature le rythme d’une année scolaire, et oublie les cheminements de ses jeunes personnages : difficile d’adhérer à ces gamins mal dégrossis qui épluchent consciencieusement le journal du jour et s’intéressent aux implications complexes d’un cambriolage jusqu’à s’en rajouter des recherches à la bibliothèque et des travaux pratiques périlleux. Manque de finesse, compilation de scènes inévitables, information par-ci, blague par-là, le film ne s’invente pas.
L’absence de mise en scène, le parti-pris de rien – narration sans émotion, centrée sur l’intrigue et aérée d’humour – souligne maladroitement les effets polar du scénario avec l’évidente distillation des (trop) nombreux éléments nécessaires à la construction du final, dans un ensemble où se dissolvent d’inutiles séquences – sans intérêt quant au corps de la narration principale. Sont-ce ces narrations secondaires qui ne me touchent pas, caprices et blagues de mômes, incapable de m’identifier à aucun des jeunes héros ? Si n’étaient que ça… Résolution finale sans réel combat, l’amour brûle, littéralement, l’ambition du pouvoir – on est bien dans
un conte de fée sauce américaine –
et happy end aux allures de favoritisme éhonté, sans aucune forme de justice ou d’équité – devant deux parterres d’enfants soumis.
La morale est lâche.
La musique sublime, la partition comme à son habitude envoûtante, de John Williams, est le liant indispensable du récit, le seul support narratif pensé, intelligent et cohérent. L’identité forte de la franchise naît d’abord de là, de ce ciment idéal à combler le vide du travail de mise en scène. Vient souligner l’autre matériau magique de l’œuvre en écriture : le casting.
L’excellente distribution offre aux
grands noms du cinéma anglais
d’inoubliables rôles et le plaisir d’incarner des personnages hors du commun. Alan Rickman d’abord, embrasse un rôle génial, Richard Harris en Dumbledore 1er. Maggie Smith, Ian Hart, Robbie Coltrane énorme, Warwick Davis. Le niveau est sacrément haut ! C’est malheureusement de cet atout incroyable que naît une autre faiblesse du métrage : tourner avec des gamins comporte de nombreux inconvénients, notamment celui de leurs aptitudes à la comédie. Daniel Radcliffe… ce n’est certes pas le talent qui l’étouffe ici. Quant à Emma Watson, la fillette en fait des tonnes à chaque scène, une grimace pour chaque émotion. Après tout ils sont comme les personnages qu’ils campent : à l’école. Seul Rupert Grint laisse alors entrevoir de belles capacités.
Chris Columbus livre ce qu’il a l’habitude de faire,
un film en manque d’âme,
et ce malgré le potentiel incroyable d’ingrédients originels magiques. Incapable de diriger des gamins, que probablement il apprécie, avec exigence, incapable d’inventer un langage inhérent à l’ampleur d’une œuvre qui s’écrit, incapable de saisir l’occasion, incapable de s’adresser à un public adulte, le réalisateur démontre ici le peu d’estime qu’il a pour son travail en se contentant de faire du catalogue, de la compilation : les ingrédients sont là, sinon arrangés, du moins présentés. Pas de grande philosophie dans cet Harry Potter & The Philosopher’s Stone, la pierre est désespérément plate. Pas de grande mise en scène$. Pas de réel message. Le déroulé long et lent, gentillet et sans grand suspense, d’un récit sans caractère. Le réalisateur dispose de tous les éléments, mais ne maîtrise jamais leur utilisation, et ses astuces d’amateur ne peuvent hisser le film au niveau de l’attente, énorme, d’un public qui souhaite autant rêver que frissonner.
La magie ne prend pas.