Harvey est l'exemple type du film qui ne parvient jamais à faire oublier qu'il est adapté d'une pièce de théâtre, pas très bonne de surcroît (n'en déplaise au jury du Pulitzer). En adaptant son propre texte, Mary Chase semble ne pas avoir réfléchi suffisamment à la dimension que le médium cinématographique pouvait ajouter à son histoire.
Ainsi, dès l'exposition, toutes les informations essentielles sont divulguées à travers le dialogue entre Veta et Myrtle Mae, une conversation aberrante de maladresse durant laquelle les deux femmes s'expliquent mutuellement ce qu'elles savent déjà. Deux minutes plus tard, un mec glisse sur une éponge et se casse la gueule avec un naturel et une spontanéité proprement navrantes. Puis les quiproquos s'enchaînent avec plus ou moins de bonheur (et je dis "plus" uniquement pour rester poli), d'autant que les ficelles du script, aussi épaisses que des chaînes d'arrimage, tendent à irriter sérieusement, surtout quand les personnages se donnent un malin plaisir à couper la parole à Elwood dès qu'il veut présenter Harvey - ce qui arrive au bas mot une bonne dizaine de fois...
Voilà pour les griefs. Et ce n'est pas l'humour globalement au ras des pâquerettes ou la réalisation tiédasse et prévisible qui relèvent le niveau. Pourtant, pourtant, si l'on persévère, Harvey finit pas révéler une nature profonde pas si désagréable. Pour tromper l'ennui face à ces situations convenues, on peut ainsi se réjouir du ton naïf mais optimiste du film. S'il ne s'embarrasse pas avec la profondeur de ses personnages, le scénario a au moins le mérite de leur témoigner beaucoup de bienveillance. Au bout du voyage, des fêlures se révèlent chez plusieurs d'entre eux, et nous les rendent plus humains, attachants. Il faut dire que les acteurs, hormis le cascadeur sus-mentionné, font bien leur boulot. Le numéro de Josephine Hull fonctionne et elle aurait sans doute été irrésistible avec de meilleurs dialogues à débiter. Le duo Charles Drake / Peggy Dow est le seul à réellement amuser avec son petit jeu amoureux, tout comme Jesse White, dont la trogne rappelle celle d'Urbain Cancelier. S'il n'y a pas grand à reprocher à James Stewart, il se fait en revanche bouffer par le côté béni-oui-oui d'Elwood P. Dowd, aussi sympathique qu'il peut se montrer agaçant à enchaîner les martinis sans perdre son flegme ni son noeud de cravate.
Tout n'est donc heureusement pas à jeter dans Harvey, mais mieux vaut ne pas y regarder de trop près sous peine d'y trouver, derrière les quelques couches de légèreté et d'humanisme, une morale candide et plutôt inconsistante.