Dans ce film à la fois beau et ambitieux, Robert Zemeckis parvient à l’exploit de proposer une œuvre à la fois profondément expérimentale et accessible au grand public. Here, d’une élégance formelle étonnante, s’affranchit des codes narratifs traditionnels pour se consacrer à un sujet universel : la vie elle-même.
À travers les âges et les époques, hommes et femmes se succèdent dans un même lieu, sur plusieurs générations. Ce lieu, témoin silencieux de l’humanité, devient le théâtre de vies entremêlées, d’histoires d’amour, de conflits et de découvertes, retraçant ainsi le fil de l’évolution humaine.
Here est un pur film de dispositif. Zemeckis ancre sa caméra sur une terre nue à l’aube de l’humanité, puis qui deviendra une maison bourgeoise. Le réalisateur américain capte le passage du temps, les métamorphoses du lieu et les vies qui s’y déroulent. On découvre la même pièce à travers différentes époques, occupée par des familles successives, évoluant sur plusieurs siècles.
Le film s’ouvre sur un générique somptueux, où de longs fondus enchaînés illustrent poétiquement le temps qui passe. Le récit débute par les dinosaures, balayés par la météorite qui changea tout, puis s’attarde sur les premiers habitants aborigènes, avant de montrer l’arrivée des colons et les débuts de la modernité.
Sans intrigue ou action réelle, le film suit la vie s’écouler dans ce qu’elle a de plus trivial. Les naissances, les décès, les difficultés conjugales, les grossesses accidentelles. On suit les différents protagonistes, familles et générations sur le très long terme. Fervent adepte de la technique, Zemeckis rajeunit et fait vieillir ses comédiens grâce à l’intelligence artificielle. Le résultat est inégal, mais souvent bluffant, donnant vraiment l’impression de traverser des décennies aux côtés des personnages.
Par un travail minutieux de pointillisme, Zemeckis capte des fragments d’époques, les reliant par des transitions délicates, parfois un peu lentes. En montrant les époques se succéder, il illustre la répétition des cycles de la vie : des drames familiaux aux grandes tragédies historiques comme les guerres.
L’idée la plus brillante du film réside dans son ambition de raconter l’histoire américaine à travers l’évolution d’une simple pièce. En suivant les habitants de cette maison, Here évoque les injustices fondatrices du pays — les terres prises aux aborigènes, la période esclavagiste. Le film raconte autant les années prospères que les années de difficultés économiques. Ce qui est également passionnant, c’est aussi l’évolution sociologique des habitants de cette maison. La bourgeoisie qui y habite est tantôt aisée, tantôt de la classe moyenne selon l’époque. Ce qui dit donc beaucoup des changements économiques du pays.
Le film n’est toutefois pas exempt de limites. Zemeckis n’exploite pas toujours pleinement le potentiel de chaque époque. Certains segments semblent anecdotiques, et on regrette notamment le peu de développement accordé au personnage de Michelle Dockery, pourtant très bien. La période des colons, par exemple, se réduit à un simple rappel historique.
Here a également les défauts des films de dispositif. Aussi ingénieux soit-il, le dispositif étouffe par instants le récit, limitant la durée des scènes et restreignant la place laissée aux acteurs pour déployer leur jeu. C’est d’autant plus dommage que Zemeckis réunit ici le duo culte de Forrest Gump, Tom Hanks et Robin Wright. En jouant sur les âges grâce à l’intelligence artificielle, il les filme jeunes, vieillissants, et vieux, intégrant leur transformation au cœur même du projet du film. Cette idée, simple mais émouvante, apporte une dimension supplémentaire à cette œuvre assurément unique.