Très beau film, qui évoque beaucoup Pasolini et Reygadas, pour sa magie autant que pour sa peinture d’un lieu, d’une communauté en marge du monde. Il me manque sans doute un peu d’émotion, comme c’était le cas aussi avec Trois visages, de Jafar Panahi : Ce sont à mes yeux les deux propositions les plus audacieuses vues cette année. Et dans le même temps, leur effet se dissipe à mesure qu’ils s’installent. Dans Lazzaro Felice, la cassure centrale arrive au bon moment, justement quand je commence à lâcher prise ; et le final dans la banque aussi. Je pense que ça tient moins à Lazzaro, ce personnage qui encaisse la méchanceté, la douleur, la tristesse du monde – encore que ça relève un peu trop du personnage conceptuel à mon avis, qu’on a tiré d’un tableau, le Pierrot d’Antoine Watteau, pour le faire errer dans l’Inviolata puis dans la ville – qu’aux autres personnages du récit, qu’Alice Rohrwacher ne filme pas avec la même (com)passion qu’elle peut filmer les lieux ou Lazzaro. En un sens, la première partie m’évoque trop Kusturica quand la seconde fait trop de Scola. Malgré tout, j’ai trouvé ça puissant car le film a cette intelligence de jouer avec les temporalités, la magie de l’ellipse, la magie tout court, en faisant à la fois un conte poétique et un manifeste politique. Ne serait-ce que dans sa façon de nous plonger dans ce récit et une métairie qui semble tirée du XIXe siècle (où une marquise règne et asservit toute une communauté de paysans) avant que l’on comprenne par touches qu’il est d’aujourd’hui (La police viendra mettre un terme à ce servage moderne) ou presque : Une vingtaine d’années sépare les deux parties, une ellipse sidérante, miraculeuse, qui nous extirpe de la campagne pour nous plonger dans le cœur de la ville. C’est très déstabilisant mais d’une audace infinie.

JanosValuska
7
Écrit par

Créée

le 23 janv. 2019

Critique lue 260 fois

4 j'aime

1 commentaire

JanosValuska

Écrit par

Critique lue 260 fois

4
1

D'autres avis sur Heureux comme Lazzaro

Heureux comme Lazzaro
chinaskibuk
8

Good boy Bubby

Il est trop peu souvent de ces œuvres qui me transportent et dont je sors en ayant l'impression de nouveauté non aseptisée, Heureux comme Lazarro en fait partie. Ce conte cruel et poétique est...

le 4 déc. 2019

17 j'aime

7

Heureux comme Lazzaro
trineor
5

Confession d'incompréhension

A priori, il m'est difficile d'imaginer un film dont l'histoire, résumée à l'écrit, réussirait à m'enchanter plus que celle-ci. Que je commence donc par mettre des mots sur ce que j'ai vu :

le 29 nov. 2018

12 j'aime

3

Heureux comme Lazzaro
D-Styx
8

Un doux rêve éveillé, une fable atemporelle et lumineuse

7 ans après Corpo Celeste, présenté à la Quinzaine des réalisateurs, et 4 ans après son Grand Prix pour le lumineux Les Merveilles, Alice Rohrwacher revient sur la Croisette cannoise avec Heureux...

le 19 mai 2018

11 j'aime

2

Du même critique

Titane
JanosValuska
5

The messy demon.

Quand Grave est sorti il y a quatre ans, ça m’avait enthousiasmé. Non pas que le film soit  parfait, loin de là, mais ça faisait tellement de bien de voir un premier film aussi intense...

le 24 juil. 2021

33 j'aime

5

La Maison des bois
JanosValuska
10

My childhood.

J’ai cette belle sensation que le film ne me quittera jamais, qu’il est déjà bien ancré dans ma mémoire, que je me souviendrai de cette maison, ce village, ce petit garçon pour toujours. J’ai...

le 21 nov. 2014

33 j'aime

5

Le Convoi de la peur
JanosValuska
10

Ensorcelés.

Il est certain que ce n’est pas le film qui me fera aimer Star Wars. Je n’ai jamais eu de grande estime pour la saga culte alors quand j’apprends que les deux films sont sortis en même temps en salle...

le 10 déc. 2013

28 j'aime

8