Heureux comme Lazzaro se présente comme une fable, un récit traitant du mal du monde moderne et de l’égoïsme des hommes, souhaitant dénoncer à coup de poésie, exhorter à la pureté. Mais en réalité, le propos du film est aussi problématique que ce qu’il critique.



Le film place frontalement en opposition un groupe de paysans, pauvres, travaillant durs et heureux de vivre ensemble, et le « monde », les riches, venant de la ville, restant entre eux et profitant des premiers.


Les paysans sont montrés comme misérables, ce qui au tout début donne des scènes vraiment magnifiques mais au final donne un effet de complaisance misérabiliste. Ils sont définis comme stupides, donc au mieux naïfs (Lazzaro), ou  parfois cruels. D’une cruauté enfantine, mais cruels quand même. On pourrait même dire que l’image faite des paysans est infantilisante.


Les citadins, riches propriétaires, sont caractérisés par leur intelligence. Ils sont soit manipulateurs, exploitant les pauvres en les privant d’éducation, ou soit révoltés, idéalistes, tout en restant déconnectés et égoïstes.


Puis, plus tard, la vie citadine, qui est grotesquement pervertissante, coupée de sa « connexion avec la nature ».


Avec dans tout ça, la « pureté », présente chez les paysans et surtout symbolisée par Lazzaro. Une pureté glorifiée, magnifiée par la nature environnante (par ailleurs filmée avec brio).

Lazzaro est bon, Lazzaro est un saint (deux termes utilisés dans le film).

Or, et c’est ce qui est complètement contradictoire, cette image de sainteté donnée par le film rapproche beaucoup plus celui-ci des personnages les plus négatifs du récit. Heureux comme Lazzaro fait la même chose que les privilégiés qui gardent les dominés sous leur coupole, usant de leçons bibliques vantant la simplicité comme un idéal.

Il critique les jeunes bourgeois idéalistes et déconnectés, mais au final l’est tout autant qu’eux.

Fable ou non, montrer le monde paysan comme ce film le fait ne fait que renforcer cette image de vie pure et belle, en se mettant des œillères sur la réalité évidemment plus complexe. On cache l’intelligence, et donc la sensibilité et les souffrances, pour montrer une pureté bien pratique pour ne pas traiter les souffrances susmentionnées.


Et l’histoire se poursuit, la mise-en-scène, d’abord impactante par sa maîtrise de la poésie réaliste, ne parvient rapidement plus à suffire, plombée par des scènes sans enjeux et sans liant efficace, avec des personnages trop effleurés pour qu’on puisse éprouver de la compassion.

Les plus gros évènements du film, celui du milieu et celui de la fin, sont maladroitement grotesques et gâchent la beauté quasi-documentaire du début.


Au final, c’est un film qui semble vouloir être anti-capitaliste, mais qui ignore autant toutes les avancées de la sociologie, entre autres, qu'un film qui ferait l'apologie du capitalisme.

On retombe dans de vieux schémas qui vont à contre-courant de ce que le film veut dénoncer.

Et c’est vraiment dommage, parce que le tout début du film laissait croire à une œuvre magnifique, voire majeure.

quabo
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le 11 juin 2024

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quabo

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