J'avoue que j'ai d'abord eu très peur dès l'intro' du film avec Leos Carax se mettant lui-même en scène face à des spectateurs littéralement lobotomisés dans une salle de cinéma. Peur d'un egotrip surdimensionné où le cinéaste allait s'auto-citer durant 2h non-stop suite à des déconvenues financières lui ayant empêché de réaliser un long-métrage durant 13 ans. Et puis non, je me suis peu à peu laissée emporter au sein de l'atypique voyage proposé pour finalement en sortir plus que ravie. Car Holy Motors est tout simplement un sublime film.
Un matin, Mr. Oscar s'engouffre dans une limousine, métamorphosée en loge de maquillage et conduite par Céline. Le véhicule le mène a plusieurs rendez-vous pour lesquels il endosse à chaque fois une nouvelle personnalité, ainsi qu'un nouveau costume. Tour à tour mendiante moldave, voyou, clochard, meurtrier, père de famille, musicien, amoureux mélancolique ou à l'article de la mort, Mr. Oscar incarne divers personnages dans un univers aseptisé (le nôtre) où chacun cherche une sorte de formule au bonheur.
Mr. Oscar, c'est Denis Lavant qui interprète ainsi 11 personnages croisant la route de Michel Piccoli, Eva Mendes, Kylie Minogue, Bertrand Cantat, Jeanne Disson ou encore la décidément stupéfiante Élise Lhomeau pour, peut-être, l'une des plus belles scènes de toute l'Histoire du cinéma avec cet oncle, sur son lit de mort, qui confie tout son inconditionnel amour à sa jeune nièce, Léa. Cette dernière, tout comme Mr. Oscar, s'avèrera être une actrice prénommée... Élise. En toute sincérité, j'ai fondu en larmes face à l'intensité émotionnelle offerte par ses deux extraordinaires comédiens sous la bienveillante direction de Carax. C'est infiniment humain et forcément inoubliable.
Le tout est conduit par l'élégante Édith Scob, qui finit masquée à l'instar de son personnage dans Les Yeux Sans Visage, tel l'effet miroir qu'un artiste stimule face aux perceptions populaires. Peut-être pour contrer la théorie de Godard quant à la mort du cinéma, Carax relève le pari fou d'offrir une œuvre fiévreuse où l'on ne discerne plus le vrai du faux et où tout un chacun interprète le rôle de sa vie sous l'égide de ses propres choix... ou pas.
Mais au-delà du propos existentiel, Holy Motors reste avant tout un vibrant hommage à la créativité cinématographique et c'est Gilles Esposito qui en trouve sûrement la meilleure synthèse dans les colonnes du magazine Mad Movies : "Le film, et avec lui le 7e art, devient une sorte de monstre de Frankenstein dont les coutures apparentes raniment le plaisir du jeu". Tout est dit.