Dans la filmographie d'Eastwood, Honkytonk man représente le moment où la critique (américaine et française) a connu un revirement à son encontre. Jusque-là, le réalisateur était plutôt méprisé, identifié à la réaction voire à une forme de fascisme (L'homme des hautes plaines avait été même qualifié de Mein Kampf de l'Ouest par le magazine Positif). La critique salue alors l'oeuvre.
Cependant, ce film n'est pas une oeuvre isolée dans la filmographie d'Eastwood. Il est à rapprocher de Josey Wales, hors-la-loi (1976) et de Bronco Billy (1980). Ces films ont en commun un goût pour les personnages marginaux, rejetés et qui s'associent pour former une petite communauté.
Honkytonk man est également à mettre en regard des Raisins de la colère de John Ford (1940). Dans ce dernier film, on y suivait les péripéties d'une petite communauté familiale pittoresque, touchante, drôle, sillonnant divers Etats à bord d'un véhicule improbable, en pleine période de la Grande Dépression. Une sorte de road-movie avant l'heure. Ingrédients que l'on retrouve dans le film d'Eastwood, situé également dans les années1930. Dans les deux films, on trouve le personnage du grand-père, l'aïeul de la famille. Celui-ci incarne moins la mémoire familiale que la mémoire de l'Amérique (la ruée vers l'or, la ruée vers les terres libres grâce à l'Homstead Act). Le monde qu'il incarne est sur le point de disparaître. D'ailleurs, dans les deux films, l'aïeul nous quitte en cours de route : il meurt chez John Ford ; il demande à ne pas continuer le voyage, et à ce qu'on le laisse dans le lieu de sa jeunesse chez Eastwood. En revanche, si John Ford privilégiait le réalisme social, Eastwood opte pour une peinture mélancolique et tragique.
Insistons sur ces aspects-là, car il serait superflu d'évoquer le thème de la transmission, si cher à son réalisateur. Beaucoup de choses ont été écrites à ce sujet, au risque d'en faire un poncif du cinéma d'Eastwood. Le film traite de la relation entre un oncle (Red) et son neveu (Whit). Red est sans enfant. Le neveu semble esseulé. La filiation entre deux personnages s'élabore tout au long du film, à partir de l'art (en l'occurrence, la musique) : la participation au processus de création d'une oeuvre est un élément fondamental de la filiation. L'objet joue ici un rôle déclencheur : tout commence par la découverte de l'objet guitare, filmée à la manière d'une révélation (à l'instar de la rencontre amoureuse romanesque). Au cours du film, Whit participe même à l'écriture de la chanson la plus aboutie de l'oncle (il trouve les paroles qui faisaient défaut). Finalement, à la mort de l'oncle, il reçoit la guitare (le goût pour pour l'art, en somme), symboliquement. Cette filiation s'élargit même à la jeune Marlène, mauvaise chanteuse, mais passionnée (sympathie du réalisateur pour ces personnages ratés mais qui ont un rêve, à l'instar du personnage de Bronco Billy dans le film éponyme).
Ce discours sur la filiation/transmission prend une tournure particulièrement intimiste lorsque l'on sait que Eastwood choisit son fils pour incarner Whit.
Deux remarques pour compléter mon propos :
-l'entrée en scène du personnage de Red : il apparaît dans sa voiture au beau milieu d'une tempête de sable. Evidemment, cette entrée en matière est présentée de manière humoristique, mais elle n'en reste pas moins une apparition magique (procédé que l'on retrouve dans ses westerns, L'homme des hautes plaines et Pale rider). C'est l'irruption de la liberté (celle de l'artiste, hors-norme) dans un univers familial rural pauvre, clos, normé, résigné.
-un road-movie où les personnages incarnent trois générations. Symboliquement, le personnage incarnant le passé (le grand-père) disparaît. Red, est un personnage fantôme (sa première occurrence à l'écran est celle d'un être ivre...mort), hanté par son passé (évocation de Lily, son amour perdu), et qui prend conscience de sa finitude (le tragique apparaît dans toute sa plénitude lors de l'audition au Grand Ole Olpry : gros plan sur le visage d'Eastwood, qui est déjà celui d'un mort, puisque malade de la tuberculose, il quitte ensuite la scène...symboliquement). Ne reste plus que la jeune génération... A elle de prendre le relais. Elle porte tous les espoirs.


En conclusion, un film touchant, émouvant parce qu'il parvient à allier subtilement, sans artifice, le comique, le pathétique et le tragique, en naviguant avec allégresse d'une tonalité à l'autre. Un film d'autant plus touchant que la caméra adopte le point de vue de l'enfant, placé en situation de témoin, et auquel le spectateur finit par s'identifier... émotionnellement.

christophe75
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le 24 janv. 2020

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