La sélection Un certain regard de Cannes est toujours une super alternative à la compétition officielle pour découvrir des films d’auteurs moins confirmés, sur le papier moins prestigieux, mais pourtant souvent tout aussi passionnants bien que moins médiatisés. Pourtant il est peu dire que sur la croisette, le premier film de la dénommée Molly Manning Walker, qui non content de se voir octroyer une place à 30 ans, a électrisé la croisette avec son odyssée désenchanté dans le quotidien de 3 ados venues faire leur spring break en Grèce pour célébrer la fin du lycée. Un point de départ tout bête, pour un film qui ne développera pas tant une histoire démesurée, si ce n’est en auscultant certaines thématiques que vous devez déjà commencer à percevoir. Quoiqu’il en soit, à la surprise de certains, et le bonheur de beaucoup, le prix Un certain regard (équivalant de la palme d’or) lui est revenu des mains du charismatique J.C. (comme Jésus-Christ) Reilly, donnant une impulsion inespérée à un film qui aurait très bien pu tomber aux oubliettes dans la masse d’œuvres présentées à Cannes cette année. Pourtant de journalistes en journalistes, d’avants-premières à une autre, beaucoup pointaient d’une part la justesse et brutalité du métrage, de l’autre d’autres regrettaient que Molly Manning Walker s’embourbent dans une forme et un fond ratés, qui n’ont de consistance que leur note d’intention ; et bien malgré moi, je dois reconnaître me situer entre ces deux extrêmes.
Dans ma critique de Blue Jean, je vous avais dit en intro que je détestais les films à «thèse/sujet», se contentant de filmer ces-dits sujets selon ces artistes (et de trop nombreux spectateurs) plus importants que le processus esthétique qui permettrait de nous pondre autre chose qu’un tract sur pellicule. Le problème avec ce genre de film, c’est qu’à force de se limiter à son sujet ou au message politique/moral, de trop nombreux réalisateurs finissent par accoucher d’une œuvre complètement interchangeable, mais surtout, bien moins capable de créer l’empathie escomptée face à un spectateur extérieur aux faits évoqués, donnant la sensation de prêcher dans sa propre paroisse. En bref, le film devient programmatique, et ne nous raconte une histoire que pour mettre en lumière les maximes du cinéaste. C’est un problème dans lequel tombe selon moi trop How to have sex, qui passé sa prémisse, dérive très vite vers les thèmes qu’il souhaite aborder et qui sautaient aux yeux à travers un tel point de départ, mais aussi les sous-genre que Molly Manning Walker va utiliser pour traiter son récit. A commencer par celui du teen movie, ou du moins dans son aspect récit d’apprentissage et de passage à l’âge adulte, passage qui devient même l’enjeu principal du film. En effet, plus que de faire la fête et de profiter de ces vacances au soleil, ce qui anime ce trio survolé, c’est la niak, le phallus et la baise ; particulièrement pour Tara, encore vierge, et que ses deux amies vont tout faire pour chauffer. Un point de départ plus complexe qu’une simple virée dans les fêtes les plus décomplexées de cette station balnéaire où l’on passera la quasi totalité du film, et qui va peu à peu élargir ses thématiques et nous questionner sur l’euphorie des images qui se présentent à nous. Je pourrai presque dire qu’How to have sex fait de plus en plus l’office d’une course contre la montre, à mesure que l’on sent cette longue fête de près d’une semaine se dérouler, et que l’échéance devient de plus en plus insistante pour le personnage de Tara. C’est là que le film cherche à nous questionner sur notre rapport à la sexualité, qui n’est plus considéré comme un tabou, mais qui passe du simple désir au quasi besoin primaire, non pas pour des questions de survie mais de reconnaissance sociale. Sans compter l’omniprésence de ces pratiques au sein de ce Spring Break, la réalisatrice questionne son époque, en prenant un contexte plus ou moins extrême pour filmer une émancipation trafiquée de toute pièce, mais surtout digérée par les jeunes d’aujourd’hui. Le problème, et c’est là où mon intro faisait tout son sens, c’est que sur toute cette heure et demi, Molly Manning Wlaker accouche d’un récit beaucoup trop centré sur ses thèmes, au point où l’écriture des personnages et le développement des séquences ne sont qu’un prétexte pour que la réalisatrice y développe son point de vue évoqué plus haut. Le problème étant, que comme cela, elle accouche d’après moi d’un récit incroyablement programmatique, et surtout très prévisible, plus dans la succession d’événement que leur déroulé précis qui reste très bien narré.
Ce faisant, le film perd selon moi énormément en émotions, car l’impact des scènes et la psychologie des personnes devient bien moins bouleversante que prévu, et le visionnage d’How to have sex fut pour moi assez plat à ce niveau. Pour autant je n’ai pas eu l’impression que la réalisatrice ait voulu jouer la surprise, d’abord car tout est préparé en amont pour en venir à ces climax scénaristiques, mais surtout car How to have sex est pour moi trop conscient de lui-même et surtout de ce qu’il représente, qu’il sait trop où son histoire va mener, ce qui sabote inconsciemment bon nombres d’éléments qui auraient pourtant pu redonner de la vigueur émotionnelle au film. Ainsi plus le film avançait, plus j’avais l’impression que la réalisatrice abandonnait peu à peu certains de ses personnages pourtant encore témoins des scènes, et surtout leur consistance émotionnelle, non pas car elle cherche à devenir de plus en plus précise dans ce qu’elle a à raconter, mais parce qu’elle se concentre trop sur le sujet du film et non son traitement. Ce qui est vachement dommage, car étonnement, le film est loin de tomber dans le manichéisme de façade, que ce soit au profit des hommes, des femmes ou autre. Les personnages laissent à voir un vrai sentiment de réalité, à la fois dans leur jeu (j’y reviendrai) et surtout leur écriture, qui les montre autant instigateurs voire profiteurs des mœurs que dépeint How to have sex, et en même temps des personnages plus ou moins victimes, qui tentent à leur échelle de prendre du recul même si toujours trop tard. En d’autres termes, juste des ados/jeunes adultes qui s’éclatent à fond au sein de ce spring break, mais qui se soucient parfois trop peu de l’empathie de l’autre, que ce soit innocemment quand l’une des copines de ce trio est bourrée, ou quand certaines relations deviennent plus troubles. Ainsi, moi qui était au départ conquis par le film, son resserrement thématique plus qu’émotionnel m’a peu à peu provoqué un certain désintérêt ou du moins une relâche émotionnelle qui m’a empêché de vivre à fond ce qu’a souhaité me raconter Molly Manning Walker.
Pourtant, il est peu dire que sur de nombreux points, ce nouveau Prix un certain regard a des choses pour tutoyer certains des meilleurs films de l’année, et bien que trop souvent, ce dernier en reste à la note d’intention, il offre des choix esthétiques pertinents qui bien développés, cachent un peu les scories d’écriture que j’ai cité plus haut. Tout d’abord, je saluai le sentiment de réalisme, d’authenticité, qui se dégageait des personnages, et il en est de même pour les acteurs. Une distribution quasiment composée de premiers rôles, plus que sauvage, qui semble pris sur le vif des scènes et du contexte brouillant la frontière entre écriture, direction d’acteurs et naturel. Un brouillage qui se fait d’autant plus ressentir au sein de ce jeune trio, complètement électrique, et dont les premiers pas devant la caméra de Molly Manning Walker risquent d’en bluffer beaucoup dont moi, autant pour leurs énergie adolescente que leurs relations captée par la réalisatrice qui offrent pour moi avant tout un remarquable travail de justesse. Je comprend qu’un tel choix de direction d’acteur puisse énerver, pour ne pas dire sortir du film encore plus que j’ai pu l’être par son écriture, mais pour moi c’est l’une des grande force de ce How to have sex, car la distribution porte selon moi considérablement le métrage, ses qualités certes, mais aussi ses thèmes affiliés qui prennent une dimension et une puissance nouvelle. Faisant que j’ai encore plus de la peine de n’être entré qu’en surface dans la fièvre du long-métrage. Fièvre constante dans la première demi-heure du film, et qui, dès qu’elle ralentit, créé un sentiment de pression voire d’anxiété palpable, comme si on en revenait à une réalité plus dure en dehors des simples apparences joyeuses de cette fête allongée sur la durée ; notamment une scène de jour où la présence d’ordures inhérentes au contexte supplée par la posture d’un des personnage font froid dans le dos. Et justement, la réalité c’est je pense bien ce qui intéresse Molly Manning Walker dans ce film, car malgré que le lieu y soit la porte d’entrée, d’autant plus en comparaison avec le film éponyme d’Harmony Korine, le Spring Break est filmé sans fioritures, ou du moins, pas plus que ce que représente l’événement. En fait, la réalisatrice fait presque office d’un film quasiment naturaliste, dans le sens où il représente la réalité de manière brute, de la manière la moins romancée possible. Or, ce qui est intéressant, c’est que la réalisatrice adopte cette esthétique prompte à ne pas enjoliver la réalité, au sein d’un événement qui fait plus ou moins tout l’inverse, ou du moins dans lequel sont jetés des ados venues avant tout passer 5 jours dans une bulle de fête et de débauche.
Une bulle que la réalisatrice va filmer de manière franche, crue même, autant dans l’omniprésence des références au sexe, que l’atmosphère fait d’excès, de cuites, de techno sur-résonnante et j’en passe. On pourrait presque dire qu’il aurait été de trop de rajouter des éléments plus cinématographiques pour le propos de ce film qui se suffit presque à son contexte qui donne vraiment l’impression d’un lieu féerique mais complètement désenchanté. Cela s’explique pour moi à la fois par notre regard de spectateur, qui ne cherche pas à avoir un orgasme jubilatoire comme devant un Babylon au vu du ton du film, mais aussi par le développement même du film, qui débute, se poursuit, et finit dans l’euphorie, mais de plus en plus avec la sensation d’être à deux doigts du malsain, voire du pur tragique qui viendrait entacher une machine d’euphorie pourtant inarrêtable. Pourtant le tout dernier plan du film, qui entre en résonance avec le tout premier risque de poser énormément de questions au spectateur, c’est une vraie fin ouverte, qui nous demande de réfléchir à l’évolution de Tara, son rapport aux autres, aux expériences qu’elle a vécu au sein de ces 1h30 de long-métrage, et enfin le regard de la réalisatrice, qui n’est je pense pas innocent dans le traitement de ce personnage. Je me retrouve ainsi surprise à repenser au film, à essayer de me le reconstruire dans ma tête, et finalement à avoir la sensation qu’il m’a au moins un peu perturbé, retourné et questionné plus pour ses idées de mise en scène que d’écriture. Car si cette écriture est encore une fois trop appuyée et manque de singularité ou tout simplement de lâcher prise par rapport au propos de Molly Manning Walker, il est peu dire que ce qu’elle a à filmer, elle le fait avec une vigueur peu soupçonnable qui risque de faire se nouer la gorge de beaucoup.
Si pour moi how to have sex est à moitié un coup manqué, à cause d’une écriture trop programmatique, qui centre trop ses cheminements narratifs aux thèmes abordés par la réalisatrice, ce film reste une très belle promesse pour je l’espère une future carrière radieuse à une encore jeune artiste qui n’a pas cherché la facilité dans sa mise en scène. Pas le film choc escompté pour moi, car trop tiraillé par son scripte trop lourd, How to have sex risque tout de même d’en choper beaucoup par son travail de mise en scène brut et brutale, qui donne un tout nouveau regard au spring break, que ce soit pour son contexte d’euphorie constante, que ce qu’il représente pour le développement de ses jeunes, autant venus faire la fête que vivre des expériences qu’ils pourraient considérer constructives.