Le rêve, l’enfance, la réalité. Trois mots pour décrire Huit et demi.
Fellini au sommet de son art, Mastroianni incarnant l’élégance à son paroxysme, le chef-d’œuvre surclasse de loin bon nombre de longs métrages.
Au commencement, une rêverie, illusion sincère d’un homme et de ses peurs. Le plan sublime du ballon dessine de haut le reflet de la plage, symbole d’un paradis perdu et inatteignable. Mais le retour à la réalité… Guido revenant à son rôle de cinéaste dépressif et malade. Fellini instaure ici une photographie éclatante de beauté, les ombres jouent sur les formes, la lumière s’aventure sur les visages. Vient ensuite l’une des plus belles scènes du cinéma. Mastroianni face à son reflet abstrus puis étincelant. La Chevauchée des Walkyries en fond, assez inaudible pour se faire entendre. La transition soudaine vers le jardin luxueux. Et enfin, le travelling qui en jouant sur la distance dévoile le décor et ses personnages. La première pierre du monument est posée.
Durant ces deux heures quinze, le temps s’évade au fil de séquences toujours plus créatives. Guido se remémore son enfance, cherchant l’inspiration sans succès. Fellini évoque alors l’éducation religieuse italienne, la dureté de l’apprentissage chrétien dans un pays très conservateur. Bien sûr ce film contient une part autobiographique. Le titre seul exprimait clairement cette idée : Fellini réalisa six longs métrages et trois moyens métrages avant ce film, classant alors ce dernier comme le « Huitième et demi » long métrage du cinéaste. Mais la mise en abyme va plus loin…
Tel Guido baissant ses lunettes pour mieux contempler le soleil, Fellini se met à nu. Il nous livre sa vie, raconte ses tourments d’auteurs, le processus long et périlleux du métrage, mais aussi son quotidien : journalistes envahissants, producteurs exigeants… Les figures féminines sont elles entièrement tirées de la vie du cinéaste. Carla incarne la maîtresse de celui-ci, Claudia Cardinale son idéal féminin, et les scènes entre Luisa et Guido évoquent directement les nombreuses disputes conjugales entre Fellini et son épouse Giulietta Masina
L’histoire quant à elle pourrait se résumer simplement : un cinéaste en pleine crise existentielle cherche réconfort en puisant dans ses souvenirs, dans ses songes, dans ses rêves.
Mais bien sûr l’œuvre s’aventure plus loin encore. Fellini raconte ici non pas l’histoire d’un homme, mais l’histoire de tous les Hommes. Qui n’a jamais rêvé, qui n’a jamais regretté le passé, qui n’a jamais eu envie de tout laisser tomber ? Ces 2h15 résonnent dans notre esprit avec un déconcertant sentiment de déjà vu. Guido ne recherche pas qu’une simple idée ; il est en quête d’une chose bien plus grande : la quête du divin, celle d’égaler Dieu. Cette ambition est parfaitement figurée par le décor en construction; une rampe de lancement de fusée pointant vers les cieux et en tout point inutile. Guido se cherche mais ne se trouve pas. La fin qui semble à première vue positive est en réalité bien plus sombre : Entraîné par la musique de Nino Rota, Mastroianni comprend qu’il n’atteindra jamais les cieux, se rangeant alors misérablement dans la farandole létale des êtres humains.