LE film que j'attendais depuis près de deux ans parce que 1/ j'adore le travail de Alexei Guerman (pour la maigre connaissance que j'en ai) 2/ Il est difficile d'être un Dieu s'annonçait comme une pure expérience de cinéma dans la lignée spiritualiste d'un Andrei Roublev ou d'un Marketa Lazarova.
Des influences qui crèvent littéralement les yeux, dans une esthétique apocalyptique et hallucinatoire poussée à son paroxysme, empreint d'une métaphysique pesante, indigeste même.
Pour être plus exact, le film posthume de Alexei Guerman sent bon la cinéphilie russe des années 60, celle de Andrei Tarkovski tout particulièrement, à la différence près que Guerman est un historiographe avant d'être un philosophe ou un poète. Et toute la filmographie du bonhomme s'inscrit dans cette veine nihiliste d'une histoire qui se répète, d'une histoire dont il faut tirer les leçons. Quarante ans avant Il est difficile d'être un Dieu, Guerman avait réalisé la Vérification et il y faisait déjà preuve d'un vrai talent de mise en scène pour reconstituer avec trois fois rien des enjeux historiques sans manichéisme.
Ici, la reconstitution prend une forme dystopique et elle se fait sous couvert de science-fiction. Mais, si la trame scénaristique est parfaitement illisible (Guerman donnant moins dans l'explication que dans l'indice), le propos est quant à lui martelé avec ferveur et puissance.
Oui, Il est difficile d'être un Dieu convoque la parabole tarkovskienne de Andrei Roublev, mais le film de Tarkovski s'inscrivait dans un mouvement ascendant, c'était la recherche de la pureté, de la grâce au delà des égarements moyen-âgeux, au delà de l'horreur des invasions tatares. Une profession de foi en quelque sorte. Il est difficile d'être un Dieu a une approche nettement plus désespérée et cynique, une foi est également mise à l'épreuve ici, mais il n'y a aucune issue. Sans culture, pas de spiritualité, sans spiritualité, c'est l'obscurantisme à tous les étages. Avec sa démarche scientifique, Il est difficile d'être un Dieu ressemble presque à une démonstration et le film, délirant et chaotique, se heurte souvent à la faiblesse de sa parabole, trop évidente et trop appuyée.
Mais c'est aussi le but. Du haut de ses 2h50, de son ambiance canonique, et de sa mise en scène prodigieuse, Il est difficile d'être un Dieu est un témoignage de l'apocalypse, dont la lourdeur délibérée est partie intégrante de l'expérience. Parce que, précisément, Alexei Guerman n'épargne absolument rien, de la boue, de la merde, des viscères et du sang dans une atmosphère de débauche absolue. La poésie n'est pas à l'appel et c'est volontaire. Que l'on se rappelle seulement de la grâce avec laquelle Tarkovski filmait la boue et la terre dans Andrei Roublev ou dans Stalker, parce que les quatre éléments signaient la présence divine.
Il est difficile d'être un Dieu s'inscrit ici en totale opposition : Dieu ? Il est cané depuis longtemps et tout ce qu'il en reste, ce sont de piteux avatars humains autoproclamés divins. La boue, ici, ce n'est rien d'autre que de la boue et la merde rien d'autre que de la merde
Légende du cinéma, Alexei Guerman a surtout signé son film testamentaire, une prédiction à la fois alarmiste et grotesque de l'enfer sur Terre ...