Ce film c'est du papier vierge qu'on laisse tomber dans une flaque de boue.
Semi-posthume, film flambeau en cinquante nuances de gris et de sang coagulé d'un cinéaste russe peu prolifique (6 films en plus de 40 ans de carrière, du satellite sur pellicule). Notre Soviet Malick(sky) pré-crise-de-ô-father-ô-mother-fin-de-vie, Alexeï Guerman (en gras), ouvre donc les entrailles de ce monde potentiel et fétide - Arkanar, humide de sa pluie et de ses fluides incessants. Sang - donc, sperme, pisse, merde et tout le reste du jeu des 7 cartes y passe et s'y infecte dans ce cloaque anti-existentiel. La matière s'entasse et donne au verbe l'apparat d'un désastre imminent, on nous dit que l'art est mort parmi les chiens errants et les excréments, on nous parle d'une Renaissance invisible, avortée; ça parle beaucoup (ça bavarde? ça digère?), sans cesse, sous une pluie qui ne s'arrête jamais et qui semble noyer tout espoir de raison dans son ressac vaseux. La parole est distordue, prolixe mais stricte, la caméra suit, fuit, nuit et nous voilà avec le sentiment étrange mais pas forcément désagréable d'être ballotté à notre insu dans une quête ou pseudo-quête au squelette occulte mais au corps primitif, tout en plans séquences hallucinés et parfois vains.


Alors c'est un peu comme être dans un restaurant bruyant à manger des plats hors-de-prix avec des gens qui ne parlent presque pas la même langue et qu'on ne connait pas: on se concentre, on se perd, on divague, on apprécie l'entrée ou le dessert, ou la propreté des toilettes, ah tiens puissant ce sujet de discussion là et puis on veut quand même que ça se finisse, ce sera mieux d'y repenser.


Arkanar donc, Moyen-Age des caniveaux de science-fiction, là où "les souvenirs n'ont pas de couleur" (dixit Guerman, d'où le monochrome racé), mais là où il n'y a peut-être tout simplement pas de souvenirs? et pas de ciel? à la place on a: la syphilis et des diamants. Autant dire que ça fume les doigts comme une fin de roulée.
Les bas instincts sont en haute estime, en odoroma ce serait l'enfer, et tiens si l'enfer était la terre d'une autre planète ou quoi, alors on pense au globe d'argent de Żuławski, c'était tout aussi malade et phénoménal, et chiant aussi - avec ou sans jeu de mot?
En tout cas ça a un peu la même sensation que de se parler seul pendant des heures : c'est dégueulasse mais nécessaire, et puis merde (_) par essence le cinéma n'est pas forcément un sentier de plaisir; il a ses embûches, il a ses expériences.


Morale de l'histoire: Dieu est mort et il a emporté la bonté avec lui.

oswaldwittower
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le 23 mai 2017

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