Comment décrire avec des mots l'expérience que je viens de vivre ? Voilà la question que je me pose en arpentant les rues désertes de ma ville à 1h00 du matin, après avoir vécu ce qui me semble être l'une des fortes, si ce n'est la plus forte, immersion au cinéma de ma jeune vie de cinéphile. Alexeï Guerman m'a envoyé une gifle crasse et dégoulinante en pleine figure, et le pire, c'est que ça m'a plu.
Si l'on devait décrire en une phrase "Il est difficile d'être un dieu" ce serait probablement celle-ci : une plongée dans les tréfonds de la noirceur humaine. Et cette noirceur n'est pas seulement sombre de couleur, elle pue, elle suinte la merde par tous les pores, elle avale toute forme d'espoir pour la cracher ensuite à la figure de ses protagonistes.
Inutile de résumer ici le scénario, il est clairement mis au second plan au profit de l'univers créé par Guerman. Un parti pris gagnant, la caméra colle au plus près des personnages pour nous plonger jusqu'à la glotte dans le fumier d'Arkanar. On est dégouté, choqué, effaré du comportement de certains, mais jamais on ne peut détacher son regard de ces images, sublimes dans la laideur qu'elles transcrivent. Un paradoxe saisissant et inexplicable.
Enfin comment ne pas parler de ce film sans glisser un petit mot au sujet de Don Rumata, notre protagoniste, chevalier désabusé et joueur de jazz. Campé par un magistral Leonid Yarmolnik (que je découvre ici), il sera notre "guide" sur les terres purulentes d'Arkanar, et nous suivrons ses doutes quant à sa position.
Violent pamphlet contre l'obscurantisme et l'inculture, l'oeuvre de Guerman est à découvrir absolument. J'achèverais cette critique par une citation de notre bon Don Rumata, à l'image du film, sans espoir : "Partout où il y a des Gris, il y aura toujours des Noirs pour prendre leur place.".