De bruit, de merde et de fureur.
Khroustaliov, ma voiture et Il est difficile d'être un Dieu sont deux films monstres. Deux films hors-norme, n’ayant probablement aucun équivalent dans le paysage cinématographique.
Deux films démesurés, rugueux, baroques, autant épuisants que fascinants, repoussants qu’hypnotiques, laids que beaux.
On peut penser aux fresques de Tarkovski, aux expérimentations de Sokurov, mais c’est finalement loin de tout ça. Par exemple, chez Guerman, on ne voit pas le ciel, il n’y pas vraiment de notion de spirituel non plus, même s’il y a un « dieu » dans son dernier film. Le Regard est tourné vers le sol, vers la terre, vers le socle instable sur lequel l’humanité évolue, le plus souvent en s’embourbant.
Les deux sont des fables politiques, des paraboles, plus ou moins fines, où le discours ne passe que par l’image. Le premier retranscrit le foutoir au moment de la chute du stalinisme, le second imagine un monde parallèle à la Terre, moyenâgeux, où le peuple décérébré rampe dans la fange, persécuté par le régime dictatorial, où les intellectuels et les artistes sont décimés et où les scientifiques sont adulés comme des dieux.
Ca ce sont un peu les postulats de départ, mais très vite tout se désagrège, tout se mélange, les dialogues perdent leur sens, les situations deviennent incohérentes ou absurdes. On se perd rapidement, mais on reste captivé par la folie avec laquelle le cinéaste raccorde ses plans et par la vie débordante, fourmillante, qu’il injecte dans le cadre.
Ces films ne reposent pas sur un système narratif conventionnel, ils partent dans tous les sens, semblant uniquement se bâtir sur un montage poétique. On pense suivre une piste puis bifurque ou on fonce dans un mur.
Guerman organise savamment le chaos. Car malgré l’incroyable bordel apparent, tout semble millimétré et étudié, de la justesse technique et du tempo des plans séquences aux mouvements et attitudes des acteurs. Rien ne semble aléatoire, le moindre détail ou accessoire semble réfléchi. Et pourtant l’immersion et la sensation d’étouffement est totale. Ces films sont autant des grands carnavals que des opéras purulents, extrêmement sensoriels, où les matières se mêlent, éclaboussent, ensevelissent les acteurs et le spectateur. Ces films sont des tableaux, somptueux d’ailleurs, peints de boue, de déjections, de neige, de sang, avec des trognes au milieu. On est à la limite de l’écœurement, de l’épuisement, mais il y une telle force et singularité que tout ça devient fascinant et exaltant.