Il était un père peut être considéré comme le film où Ozu commence à vraiment poser les bases du style pour lequel il est surtout connu et reconnu aujourd'hui. La caméra s'immobilise et cadre tranquillement les personnages. On retrouve déjà des plans au niveau du tatami et le tout semble tendre vers l'épure pour mieux représenter les purs sentiments. Le fait qu'il s'agisse probablement du film le plus autobiographique d'Ozu (il vécut de 10 à 21 ans sans son père et vit ce dernier mourir d'une attaque) donne aussi un cachet d’authenticité et d'honnêteté au film. On peut donc dire, qu'il s'agit plutôt d'un bon film et l'on peut être sensible à l'esthétique et à la force tranquille du film.
On a donc énoncé les mérites du film qui tiennent à sa capacité à représenter la douceur et l'amour père-fils. Mais il reste un problème, sans doute en partie dû à mon goût personnel et certainement en partie lié au fait qu'il s'agisse d'un film cherchant aussi à vanter les mérites du patriotisme et à affirmer l'idée que l'on a un devoir envers sa patrie.
Le film semble en effet fourmiller d'idées et de potentielles sources de conflits, de tensions, mais finalement aucune n'est réellement exploitée. L'on vient donc à se demander si tout ce qu'on y a vu, existe vraiment. Si le film n'est finalement que la représentation de l'amour d'un fils pour son père, alors désolé, mais je trouve cela un peu léger comme sujet. Je m'explique. Le personnage du père est complètement idéalisé par le fils, mais pour nous (ou en tout cas pour moi) spectateurs, ce personnage du père ne nous semble pas si irréprochable. Tout d'abord le sentiment d'avoir commis une faute, d'être responsable de la mort d'un de ses étudiants semble hanter le personnage. De ce fait, ce dernier oblige - presque - son fils à racheter sa faute, en prenant sa place, c'est à dire en devenant lui-même professeur. Ignorant les désirs de son fils et sans se soucier de ces sentiments, il va, tout au long du film, lui rappeler qu'il a des devoirs et qu'il doit donc mettre ses désirs de côté. Mais justement, lui-même, ne paraît pas prendre ses responsabilités puisqu'au lieu d'accomplir son devoir et de continuer à enseigner, d'aider ses étudiants, il décide de quitter l'enseignement. Rappeler sans cesse à son fils qu'il n'a pas le droit de quitter l'enseignement car il s'agit de son devoir, alors que lui-même a failli à son devoir, cela peut sembler égoïste et injuste. Il dirige donc la vie de son fils, jusqu'à décider de la personne qu'il doit épouser. En un sens, il manque de reconnaissance paternel (il affirme toujours "tu dois en faire plus", par exemple pour réussir comme ses anciens étudiants). Enfin il refuse à son fils la preuve d'affection recherchée – à savoir le fait que le fils et le père puissent enfin vivre ensemble. Tout cela devrait logiquement conduire à un fort ressentiment du fils envers son père. Or ce ressentiment n'est jamais montré et la crise qui aurait pu (dû ?) exploser n'a finalement pas lieu. On aurait pu s'attendre à ce qu'au bout d'un moment le fils dise au père : « mais tu ne vois pas que tout ce que j'ai fait c'est pour toi, pour te satisfaire et que tout ce que je demande en échange c'est de pouvoir vivre avec toi ! Tout enfant a besoin d'un père qui soit présent, et finalement tu n'as jamais était là ! ». Mais non, le film finit même sur le fils affirmant qu'il a eu un père formidable. Mais nous pourrions justement penser qu'il devrait, bien qu'étant réellement triste, ressentir un certain sentiment de libération étant donnée l'emprise que le père avait sur lui et la façon qu'il avait de sans cesse diriger sa vie.
Alors peut-être pourra-t-on me dire, que c'est justement parce que tout ce ressentiment n'est jamais montré que le film intrigue et interroge. Peut-être me dira-t-on que si ce ressentiment avait été plus clairement exposé, cela aurait alourdi le film. J'entends bien cela, mais j'y suis pourtant opposé. Il me semble qu'un conflit ouvert ou même simplement un ressentiment plus explicitement montré aurait bénéficié au film. Un film tout en douceur, ne peut pas entièrement me transporter, j'ai besoin d'un peu d'amertume. Mais je reconnais sans problème que les scènes de retrouvailles - comme celles de pêche par exemple - sont néanmoins très belles.