Je me souviens des lumières s’éteignant. Je me souviens du téléphone sonnant. Je me souviens des premiers plans, de la violence au commencement, de Robert De Niro. Je me souviens des quatre heures suivantes, des larmes, de la mélancolie, des époques d’une vie. Je me souviens de l’épuisement après l’épopée.
Je me souviens de Noodles arrivant au guichet de la gare. De cet agent lui demandant sa destination et de Noodles répondant que peu lui importe. De la gorge qui se noue alors. De la musique d’Ennio Morricone, de la flûte de pan, de la construction du plan, du chapeau de Robert De Niro et de son regard vers la droite. Du merveilleux raccord elliptique au son d’un Yesterday ré-arrangé. Du dos voûté d’un acteur gigantesque et magnétique.
Je me souviens m’être dit, à cet instant, que j’allais plus qu’aimer, que j’allais sans nul doute adorer, que j’allais me laisser enivrer par Il était une fois en Amérique. Mais non, c’était trop peu encore. Un œil indiscret dans le restaurant, un flash-back extraordinaire : Jennifer Connelly danse, emmitouflée de farine en suspension, observée par le vieux Noodles en souvenir, le jeune Noodles dans le passé qui devient le présent. Je me souviens de la lumière orangée à l’écran et dans mes yeux.
Et encore d’autres souvenirs : un baiser sous les notes d’Ennio Morricone ; un gâteau trop tentant pour être simplement offert et un réalisateur qui ose s’attarder plusieurs minutes sur l’enfant le mangeant comme une relique sacrée ; des liens qui se forgent comme des cordes tressées entre elles en un nœud impossible à défaire ; une course-poursuite et une fusillade devant le pont de Manhattan ; une prison, une attente, un retour ; la prohibition, les fêtes, les syndicats et le pouvoir ; l’amitié de deux hommes et la fidélité.
Je me souviens de Noodles, par-dessus tout, de l’acteur de génie qui l’incarne, de la photographie qui le sublime, de son histoire de trahisons et de pertes. Je me souviens de ma colère quand celui que j’ai tant aimé pendant quatre heures commet l’irréparable et qu’il m’est impossible de le justifier par ce qu’il ressent pour Deborah. Je me souviens d’un amour et d’un renoncement. Du drame de cet amour et de la tragédie de ce renoncement. De Noodles et Deborah parlant près d’une piscine. Du regard de Robert De Niro et de la mélancolie qui le traverse quand le train part. Du mot « intermission » qui apparaît à l’écran et de ce fauteuil dont il était impossible de bouger.
Je me souviens des trahisons, de l’épopée, du monde de l’amitié qui s’écroule, des projets fous et révélations. Des hommes et femmes qui se regardent et ne se disent plus ce qu’ils ont compris.
Je me souviens de la photographie. De l’image sublime. Des détails de la reconstitution et de leur minutie. Des plans si élégamment construits, des représentations si fortes, des mouvements de caméra si harmonieux. Des décors, des costumes et des expressions. Du son qui emporte. De la musique qui transporte. Des larmes et des larmes encore.
Je me souviens du sourire de Noodles. Des vapeurs de l’opium. Je me souviens du plus beau film du monde.