Dernière partition d’un réalisateur de légende, l’œuvre « Once upon a time in America » est d’une telle puissance qu’elle mérite deux approches, que je vais tenter de développer en respectant son essence : la première sur le film en lui-même, et la seconde sur ce qui l’entoure.
Commençons donc sur les 251 minutes de (très) grand moment de cinéma :
Pour sa première fois depuis plusieurs décennies hors de son domaine de prédilection qu’il maîtrise mieux que personne (John Ford si tu m’entends, toutes mes excuses), le créateur du genre « Western Spaghetti » nous livre un des plus beaux films jamais réalisés.
Sergio Leone nous propose ainsi de suivre le destin de David « Noodles » Aaronson dans une fresque des bas-fonds d’un pays encore rongé par l’espoir trompeur de l’American dream. Pendant 4h11, nous suivons ainsi le destin d’une bande de copains, d’abord naïfs et innocents, vivants de petits larcins au début du XXe siècle puis confrontés à tous les dilemmes que la vie peut présenter. Prison, viol, pauvreté, délinquance, Leone prend le temps d’aborder un bon nombre de maux de notre société. Et il le fait parfaitement.
Chaque scène est juste, précise et subtile, servies par une photographie sublime et une musique s’accordant parfaitement avec le jeu des acteurs. Morricone la faisait d’ailleurs jouer pendant les prises de vue afin que ces derniers ainsi que l’équipe technique puissent s’en imprégner, dans le but d’accorder de manière inédite le jeu et la réalisation à la musique et non l’inverse, comme fait classiquement. La partition musicale est ainsi un véritable fil conducteur du film, certains morceaux joués plusieurs fois sur des scènes d’époques différentes rappelant un souvenir d’un autre temps au protagoniste, suscitant un sentiment de nostalgie.
Ainsi découle lentement la vie de Noodles et de ses compagnons, que nous suivons sur 3 périodes : l’enfance/adolescence, l’âge adulte et enfin la vieillesse. Cependant, le génie de Leone brise la temporalité en sautant d’une période à d’autres avant de revenir dessus, afin de préserver un suspens et nous plonger dans une ambiance de flou mystérieux.
Comme Fritz Lang dans son « M le Maudit », Leone reprend la technique de cinéma de son décalé sur la scène suivante, afin de faire d’une interminable sonnerie de téléphone le fil rouge entre les différentes époques de la vie de David « Noodles » Aaronson.
Comme Orson Welles dans son « Citizen Kane », Leone veut parler de tout, de l’amour, de l’amitié, la trahison, la loyauté, l’enfance, la vieillesse, les amertumes, les remords ou les regrets. En somme, il nous parle de la vie d’un homme, et le fait on ne peut mieux.
Comme Akira Kurosawa et son « Ran », Leone présente la violence de certaines scènes d’une manière qui se veut crue et réaliste (torture de Moe où l’on distingue à peine son visage sous les coulées de sang, scène de viol).
Avec ce film, il est parvenu à les égaler en proposant une œuvre conciliant audace scénaristique, direction d’acteurs impeccable, musique envoûtante, montage ingénieux et photographie splendide le tout conté par une réalisation parfaite.
S’il est assez difficile de parler d’un tel monument du 7ème art, il l’est encore plus de conclure une critique sur ce dernier.
Je tenterai donc de le faire en parlant de la fin, qui résume à elle seule le génie du réalisateur. Cette plongée verticale équivoque sur le protagoniste principal, révélant un sourire faux provoqué par l’opium reflétant une vie manquée, volée, faite de souvenirs de remords et de regrets.
Et le film se termine comme il avait débuté, sur fond de God Bless America.
Chef d’œuvre.
Passons maintenant à la seconde partie de ma critique, un phénomène qui a impacté de manière conséquente l’œuvre de manière globale. Il m’a semblé important d’aborder le sujet ici puisque ce dernier a eu des conséquences considérables sur la réputation de ce film comme de nombreux autres désormais considérés comme grands classiques du cinéma.
Ainsi, « Once upon a time in America » a été victime du fléau de la toute-puissance des producteurs d’Hollywood. Sergio Leone a donc vu son chef d’œuvre être amputé de plus de 126 minutes par ses producteurs, qui prétextaient que le film était excessivement long et trop subtil à saisir par le spectateur lambda. Ce constat peut rappeler un cas similaire, celui du film « Blade Runner » auquel Scott s’est vu imposer un nouveau montage agrémenté d’un happy end, la fin originale étant « trop pessimiste » selon ses producteurs.
Ce phénomène a été en (grande) partie causé par la déconvenue de « Heaven’s Gate » de Michael Cimino (sorti en salle en 4 années avant « Once upon a time in America »). Véritable catastrophe critique comme financière lors de sa sortie, le film a « explosé » son budget, sa durée de tournage finale et le nombre de reshoots donnent le vertige (budget de 44 millions de dollars pour 7 millions de prévisionnel ; 365 minutes de version finale pour 220h de rush). Elle a alors scellé le destin des films du genre, les producteurs venant dès lors (trop) souvent censurer les œuvres des réalisateurs le dénaturant de fait.
Ainsi, au plus grand dam de ses admirateurs « Once upon a time in America » tel que Sergio Leone l’avait réalisé n’aura jamais pu être commercialisé (même si la fondation de Martin Scorsese lui rend un bel hommage en proposant une version restaurée de 251 minutes, celle sus-commentée).
Mais chef d’œuvre quand même.