Les commentaires élogieux ne manquent pas pour ce film. Chaque dimension a été explorée par d'autres, et je ne m'étendrai pas dessus. Assurément, le film dénote une grande maitrîse, des plans très beaux, des scènes à la tension mémorable. Le scénario est plutôt bien ficélé, les métaphores sont nombreuses, la symbolique riche. L'immersion dans l'Amérique crasseuse des années 20, de la prohibition puis des années 60, la corruption ambiante, l'évolution d'une société qui ne se fait jamais en faveur du mieux, dans laquelle évolue une poignée de personnages isolés, en quête d'ascension sociale ou d'amours impossibles... Tout cela est remarquable.
Pourtant j'ai eu beaucoup de mal a m'identifier aux personnages, à éprouver de l'empathie pour quiconque. Ils semblent superficiels, insaisissables. Le tout manque de profondeur, de réalisme. Qu'une bande de gamins des rues s'érige en rois de la contrebande, on ne sait par quel moyen, passe encore. Que Max réussisse ensuite à intégrer la haute société new-yorkaise, après une tentative de braquage de la réserve fédérale... Le message de la corruption des élites est là, mais on a du mal à y croire, et on pense plutôt à un "american dream" à l'envers, qui ne ferait que reprendre cette affirmation de réussite à la portée de tous, indistinctement du positionnement social, pour le circonscire à une réussite tâchée de sang et d'immoralité. Ensuite, il y a cette histoire d'amour impossible entre Noddles et Deborah, qui régit tout le film, en parallèle de l'amitié conflictuelle qu'entretiennent Max et Noodles. Je trouve le tout assez mal exploité. Deborah, d'abord magnétique en tant que jeune fille, manque cruellement de consistance par la suite. Rien n'explique la situation finale, dans laquelle elle se retrouve avec Max. La mécompréhension et l'impossibilité de communiquer entre Noodles et Deborah se révèle de la manière la plus violente lors de la scène du viol. Scène choquante, mais qui pourtant s'explique assez difficilement... Car le personnage de Noodles est également insuffisament élucidé: s'il semble à certains moment privilégier l'amour et l'amitié, sorte de caution morale à une bande de truands sans autre foi ni loi que la quête d'argent (et de sexe), il est pourtant le seul que l'on voit violer, à deux reprises dans le film. Ainsi la scène du viol de Deborah, avant laquelle il déploit des millions en repas gastronomique et restaurant avec vue sur la mer, si l'on peut y voir une sorte de critique de la vacuité du comportement de Noodles qui pense pouvoir conquérir sa belle avec la seule chose qu'il possède à foison, l'argent, avant de se rater lamentablement en imposant le sexe par la force, sonne assez creux et semble irréaliste. Par la suite, l'attachement qu'Éve manifeste à son égard, tombant subitement amoureux d'un homme défait qui s'endort misérablement dans ses bras, semble tout aussi inexpliqué et improbable.
C'est un film marquant, esthétiquement réussi, mais qui malgré son ambition déçoit par une certaine vacuité, un manque de profondeur et de cohérence. On retiendra cette musique, cette mélancolie et ce portrait d'une amérique où se côtoient rêves et désillusions, corruption et grands sentiments.