Critique rédigée en septembre 2017 mais reformulée en août 2022
Je ressors du troisième visionnage [MàJ: quatrième visionnage et en VL] de cette oeuvre somptueuse et l'unique chose qui me traverse l'esprit dès que survient le générique de fin, c'est la sensation d'avoir vu toute une vie passer, plus précisément, me l'être appropriée, l'avoir modelée à ma manière, par moments rallongée, parfois écourtée, jamais simple spectateur
Sergio Leone a déjà consacré la plupart de ses autres films à l'histoire américaine, filmographie hélas bien courte convoquant Conquête de l'Ouest américain, Guerre de Sécession, Révolution mexicaine.
Il était une fois en Amérique, tel que le suppose le titre, convoque tellement de sujets à la fois. C'est un film qui fait croiser les thèmes de l'enfance tumultueuse, l'amitié masculine, les souvenirs d'un homme faisant le point sur sa vie, à ceux d'une vieillesse confrontée aux déceptions sentimentales, la corruption, l'affront progressif contre ceux que nous n'envisagions pas, tout cela en pleine Prohibition.
L'histoire prend place dans trois différentes époques de la vie de David Aaronson dit Noodles (Robert DeNiro, livrant sans nulle doute sa plus grande prestation), sur un rythme déconstruit. Entouré de ses amis Patsy, Cockeye, Dominic, Fat Moe et du mystique Maximilien, Noodles travaille pour Bugsy, trafiquant dans le quartier juif de New York dans lequel ils vivent, tout en essayant de concilier l'ensemble à son amour pour Deborah (adorable Jennifer Connelly encore inconnue à l'époque), la soeur d'un de ses amis.
Après avoir purgé une lourde peine suite à un drame collectif, il retrouve Max et le reste de sa bande et s'unissent pour commettre différentes affaires pour Joe et Frank Minoldi, parrain de la Mafia. Enfin, parallèlement, le film montre la vieillesse de Noodles, ses troublantes retrouvailles avec Max après près de 35 ans de silence, et ses adieux et ses retrouvailles avec Deborah, la femme qu'il n'a jamais pu oublier.
Il était une fois en Amérique est une oeuvre très symbolique. Fort de ses quinze années de préparation et de ses multiples montages, faute d'avoir trouvé rapidement un producteur adéquat à un projet d'une telle envergure, il s'agit de l'oeuvre testament de Leone, celle qu'il a travaillée et retravaillée jusqu'à y aller sa vie, sacrifiant ainsi son projet parallèle portant sur le siège de Léningrad, autre monument qu'on identifie à l'histoire américaine.
La pluralité des degrés d'identification est quant à elle tout bonnement effarante. La première partie est sans nulle doute la plus accessible, car s'orientant principalement sur l'itinéraire vagabondé de David et de sa famille de coeur, acteurs autant que témoins attentifs et railleurs de tout ce qui se passe autour d'eux.
Elles donnent lieu à quelques unes des plus belles scènes du métrage, que ce soit la première apparition à l'écran de De Niro que la caméra traite comme un cas perdu au milieu d'une foule en descente, le plan inoubliable de l'assassinat de Dominic, et la dégustation de la charlotte, parenthèse touchante de naïveté.
La bande passé la majorité, la deuxième partie se concentre sur la rigueur de cette alliance, tout en annonçant intrinséquement la mise à l'épreuve de recoller les morceaux, dont l'impossibilité demeurera fatale.
Dès la très belle transition accompagnant le flashback sur David adolescent, espionnant Deborah qui danse au milieu de la réserve au son du gramophone. Lui, tenu à l'écart, ignore que cette Debbie lui demeurera inaccessible toute sa vie. L'ultime échange du couple à la fin dévoile la femme comme sous un jour nouveau, elle-même ayant quitté son coin natal pour entamer une carrière d'actrice ; durant ces trente dernières années, elle se serait attribué un rôle qui la tiendrait à l'écart de celui qui lui a attribué.
La troisième correspondra à la décadence ultime, celle où des liens se rompent à jamais et les masques tombent.
En commençant par Max (James Woods), ex-âme soeur de David, ayant changé d'identité après s'être fait passé pour mort et dont la hargne transparait à merveille le visage du comédien.
Esthétiquement irréprochable, Il était une fois en Amérique bluffe par ses décors authentiques (véritablement développés que lorsque la séquence à suivre s'annonce rigoureusement difficile, notamment le plan où le groupe croise le pont de Manhattan), souvent impressionnants, la pluralité des environnements convoqués, et forts de la portée symbolique des différentes étapes de la vie de celui qui se frotte à la corruption. Leone réalise avec précédent la prouesse de conjuguer dialogues - marquants, certes, et souvent portés par un humour discret - et jeu non verbal omniprésent, car dieu sait que dans le film le regard porter d'émotion.
Et comment négliger la claque auditive que nous offre Ennio Morricone, un atout majeur du film ? L'usage wellesien, ou plutôt hermannien, de la bande originale, appropriant un thème non-dénué de sentiments pour chaque personnage et situation, ne faiblit à aucun moment. En outre, c'est une interprétation de God Bless America qui sublime l'introduction et qui clôt le récit d'un point de vue chronologique et qui alimente la dimension symbolique du métrage.
Il était une fois en Amérique, dernier chef d'oeuvre de Sergio Leone est un film d'une puissance inusable. 15 ans de préparation afin de nous livrer un bijou intense de poésie et modèle absolu de mise en scène, à la longueur enivrante.