Ce film représente dans la filmographie de Sergio Leone l'amorce du tournant qu'il souhaitera prendre totalement en 1984 ( Long, long projet à mettre sur les rails! ) avec " il était une fois en Amérique " . Obligé de réaliser ce film afin de pouvoir ensuite s'attaquer à sa vision proustienne des USA des années plus tard par ses producteurs et par la mésentente avec le réalisateur prévu au départ, Peter Bogdanovitch, Leone se voit obligé de reprendre les rênes de ce long métrage dont il ne devait être que le superviseur . Délaissant presque mais pas totalement le cadre du western, il se tourne vers une épopée plus proche de nous ( 1913 au Mexique ) et surtout donne sa vision de ce qu'est pour lui La Révolution. Datant de 1971, son film est à l'écoute des grands bouleversements sociétaux et sociaux de cette époque et de toutes les révolutions qui parsèment le globe depuis la fin des années 60 avec son cortège de fanatiques et de pseudos marxistes ... La citation de Mao ( "La révolution n'est pas une fête, la révolution est un acte de violence par lequel une classe en remplace une autre " citation exacte ) replace bien tout cela dans ce contexte intellectuel révolutionnaire et anti " petit-bourgeois " qui fera les délices de toute une décennie politique et pseudo philosophique ( Les Serge July, Daniel Cohn-Bendit et autres Romain Goupil, soixante-huitards ou ex-maos, par exemple, qui servent à présent de conseillers ou de thuriféraires pour le très pieux serviteur du néo-libéralisme cannibale, notre bien aimé Macron après avoir levé le poing rageusement dans leurs salons ou dans leurs amphis ) Sergio Leone nous livre alors sous des atours parfois truculents Sa version de La Révolution.. On sent dans ce film mal aimé par son réalisateur, mal préparé au départ par Leone lui même, une amertume et une désillusion totales face à la disparition d'une espérance, d'une utopie qu'il voit déjà perdue, morte née sous les balles du capitalisme et de l'enrichissement personnel comme religion. Un monde disparaît en même temps, le monde du 19 ème siècle, le monde des colts à barillet et des espaces vides, pour laisser la place au monde du 20ème siècle, ses engins motorisés, ses motos, ses véhicules blindés, ses pistolets automatiques, ses mitrailleuses et ses massacres de masse. Un message donné sans ambiguïté à un Hollywood tétanisé par cette œuvre inclassable et qui essaiera de détruire toute ritournelle trop révolutionnaire ou équivoque politiquement en charcutant allègrement le film par des coupes brutales et stupides ... Film sombre, amère et sans aucune concession sur l'idéal révolutionnaire mené par des intellectuels planqués bien souvent à l'arrière du front, Leone laissera à la fois les révolutionnaires italiens et européens de son époque mécontents de sa vision mortifère et les studios américains qui lui ont laissé un budget et une liberté totales, finalement abasourdis par ce brûlot qui ne laisse aucune option possible à un bonheur collectif imaginaire.
Les deux personnages principaux , Juan, voleur, brigand , escroc mexicain ,filou de la meilleure espèce, flanqué d'une ribambelle de rejetons vit d'expédients alors que la guerre civile bat son plein dans ce Mexique révolutionnaire, sans qu'il s'en préoccupe un seul instant avec son bon sens inné.
Il va rencontrer et apprendre à ses dépens à découvrir un John ( Sean en réalité ) irlandais, ex de l'IRA , ( organisation qui n'existait pas encore à l'époque ) maniaque de la nitroglycérine, chevauchant une motocyclette comme d'autres avant des chevaux de chair et de sang.
Les deux hommes vont prendre part à cette révolution pour des motifs diamétralement opposés, se servant chacun de l'autre pour arriver à leurs fins. La révolution contre le pouvoir et la puissance pour l'un et le pillage des nantis indécents de suffisance et de préjugés pour l'autre, ne sont finalement que la double face d'une révolte en bonne et due forme...
Les scènes de reconstitution des massacres perpétrés des 2 côtés durant cet affrontement sont terribles, sèches et dantesques, portées par la musique et les accords parfaits de Morricone . Rien ne nous est épargné, les exécutions sommaires par des soldats ou par les péones de Villa ,les bains de sang, les trahisons ordinaires et les révolutionnaires embourgeoisés envoyant la plèbe au combat comme de la chair à canon pour un idéal déjà corrompu.
L''ancien rebelle irlandais de l'armée républicaine Irlandaise venu donner un coup de main à la révolte armée des partisans de Pancho VILLA, livrera lentement le secret de sa fuite sur un autre continent, à coups de flash backs déchirants qui réussissent à donner plus de profondeur au personnage de Sean et à son histoire personnelle dans un trio amoureux très moderne mais qui finira mal à cause de cette fameuse révolution et de ses tragédies. Flash backs absolument fabuleux grâce à la partition musicale du maître Morricone et à ses "Sean , Sean, Sean " et grâce à des ralentis mélancoliques qui laissent l'oeil embué. On ne peut rester indifférent à cette tristesse haute en couleurs qui émaille tout le film . Coburn tout en dents étincelantes, moustache élégante et coolitude absolue fait le contrepoint idéal de Rod Steiger , faux imbécile, faux paysan grassouillet, double presque parfait physiquement de Sergio LEONE comme par hasard, vrai révolutionnaire parce que lucide sur l'avenir de toute société égalitaire qui envoie les petites gens au feu pendant que l'élite intellectuelle trace des plans sur la comète. "Blondin " et "Tuco" mais version très obscure et nostalgique .
Film très différent des spaghettis léoniens et surtout de " il était une fois dans l'ouest ", la désespérance cynique de cette odyssée mexicaine juste avant les deux plus grands massacres de l'histoire ( première et seconde guerre mondiales ) laisse un goût amer dans la bouche lorsque le mot fin se fige sur l'écran. L'officier qui pourchasse les deux acolytes tout le long du film se nomme Gunther RUIZ et porte sur son visage les stigmates et les apparats parfaits de l'officier prussien ou Waffen ss comme par hasard. En résumé pour le maître Leone, l'espoir est mort avec tout espérance dévoyée de pouvoir changer un jour ce monde mercantile et ses adjoints parfaits, l'armée et l'église.
Chef d'oeuvre méconnu et imparfait par certains effets picturaux et cinématographiques moins utilisés actuellement, celui-ci reste à mes yeux une merveille certes plus difficile à apprécier mais plus explicite dans sa critique d'un monde servile devant les riches et bourreau sans foi ni loi avec les pauvres. Le tout filmé de façon magistrale avec des plans à couper le souffle par leur puissance évocatrice et symbolique.
Les puissants, l'armée sont passés à tabac radicalement dans le traitement cinématographique qui leur est infligé et plusieurs scènes de fusillade ou de massacres à coups de pelotons d'exécution dans des fosses communes, nous ramènent clairement à Goya et ses peintures terribles ou pire au massacres ethniques , politiques perpétrés par les Einsatzgruppen nazis durant l'invasion de l'europe de l'Est et de la Russie.
Film plus verbal et verbieux que les précédents, Film à très grand spectacle aussi , moins caricatural que les précédents, plus douloureux aussi, il reste une pépite, un diamant noir sur pellicule à regarder et à réfléchir après avoir admiré la virtuosité et la maestria du maître Leone et de son double musicien Morricone. La musique est d'une beauté, d'une puissance littérale troublante et on peut se repasser la BO intégrale du film pour juste se replonger avec délices dans cet opéra moderne.
Un chef d'oeuvre imparfait, des images marquantes , une ironie cynique, mais un bijou de plus à mettre au crédit du maître italien. Impératif à rajouter à sa culture pour tout cinéphile qui se respecte...