C’est à son nom de famille que l’on reconnaît un noble, et plus précisément grâce à sa particule. Lucien de Rubempré, interprété par Benjamin Voisin, joue le rôle principal de cette tragédie sociale adaptée de l'œuvre littéraire de Balzac, dans laquelle son drame sera celui de ne jamais accéder à un statut social respectable. Coïncidence fatidique pour Eiffel de Martin Bourboulon, sortie quelques semaines plus tôt, qui lui aussi a pour noble ambition de dépeindre un XIXe siècle chamboulé par la toute puissance de l’aristocratie face aux petites gens, sans la maîtrise romanesque du film de Xavier Giannoli qui nous intéresse aujourd’hui. Alors Illusions Perdues est il le grand film d’époque que l’on pouvait attendre d’une adaptation d’une œuvre aussi dense que celle de Balzac ?
Lucien de Rubempré, jeune provincial, amoureux d’une femme de la haute société, et aspirant poète décide sous la contrainte de partir d’Angoulême pour monter à Paris. Emporté par l’effervescence du monde de la capitale, et faute de réussir en tant que poète, il s’engage dans le journalisme sensationnaliste, milieu au premier abord frivole, qui s’avère impitoyable. L’ascension sociale de Lucien narré par la douce voix de Xavier Dolan, interprétant son rival et peut être au final seul ami, Raoul Nathan, permet de décrire avec un cynisme certain un Paris gangréné par la lutte entre royalistes et libéraux. Cette voix-off, peut être le grand point noir du film, à cause de l’aspect sur-explicatif qui est propre à son utilisation, grossit le trait d’allusions faîtes à notre époque contemporaine, comme lorsque le narrateur affirme “qui sait un jour un banquier rentrera peut être au gouvernement”. Le sous-entendu fait sourire, bien qu’il semble forcé. Néanmoins la voix de Raoul Nathan permet d’offrir aux spectateurs de croustillants détails sur la vie parisienne et les magouilles de l’époque. Et c’est ici que se déploie la grandeur de Illusions Perdues, dans le portrait méticuleux qu’il dresse de la société française sous la Restauration. La caméra de Xavier Giannoli se balade dans les fastueuses demeures de l’aristocratie parisiennes, les théâtres de boulevards, la librairie de Dauriat, interprété par Gérard Depardieu, ou encore le journal où Etienne Lousteau, interprété par un Vincent Lacoste rusé, règne en maître.
Dans son académisme flamboyant, Illusions Perdues entremêle les intrigues soutenues par un casting sur mesure. Ce récit au schéma classique, qu’on apparente désormais au rise & fall ; c’est à dire l'ascension puis la chute du protagoniste, est un genre vu et revu au cinéma. Xavier Giannoli assure parfaitement la mécanique liée à ce style, en y insufflant un pamphlet sur la société médiatique dans laquelle nous vivons. Lucien est le parfait ingénu de ce type de récit, idéaliste, jeune et naïf quant à la vie moderne parisienne, il s’engouffre dans la gueule du loup, pactise avec le diable en entrant dans le journal tenu par le personnage de Vincent Lacoste. Tout au long de son histoire, il tentera de faire accepter son titre de noblesse “De Rubempré”, le nom de sa mère, face au nom de son père “Chardon”. Mais le monde change, le royalisme renaît, et tente de survivre face à la jeunesse fougueuse du libéralisme. Le nom de famille reste à l’aristocratie parisienne le seul moyen de se démarquer des bourgeois nés grâce à l’essor de la finance. Paris se transforme alors en une immense scène de théâtre sur laquelle se joue la comédie humaine de la cupidité. En cela Illusions Perdues ne laisse aucune place au doute, de par son didactisme, inhérent au roman d’apprentissage du XIXe siècle, le libéralisme a tout corrompu. Espérons que quelque part, restera toujours une âme d’artiste pour égayer ce monde en perdition.