Par où commencer ? Ce film a indéniablement un bon fond et ne vire pas dans le sensationnalisme historique bien que rajoutant évidemment quelques tirades bien senties pour arracher la réalité historique à la froideur du récit de fin rappelé par quelques phrases à l'écran ...
Déjà la structure du film superposée en 3 "couches" (celle où Turing est écolier, celle où il se rappelle son rôle pendant la guerre et celle du moment présent, avec le détective de Manchester) est bien gérée et proportionnée; elle apporte évidemment plusieurs éléments à l'histoire sans que celle-ci soit donc linéaire mais entrecoupée de flash-backs incessants, on découvre les trois "couches" à peu près parallèlement et ne brouille pas de trop les pistes.
Sur le fond, cela est tiré de faits réels, n'étant pas un spécialiste de cette période visiblement méconnue de l'histoire de la Seconde Guerre Mondiale, je laisse à d'autres le soin de juger de l'exactitude de l'adaptation.
La présence de certaines images historiques à côté de celles du film semblent parfois superficielles par contre, on a bien compris que c'était inspiré de faits réels, surtout que le film lui même reprend les scènes qu'il diffuse juste avant tirées de la réalité (comme les images de guerre ou la célébration de la victoire) ce qui montre un peu le superflu du tout !
Sur le film même, tout semble découler assez naturellement, on ne se sent jamais "largué" et la répétition à plusieurs endroits de phrases "marquantes" ('c'est souvent des personnes dont on attend le moins qui font des choses auxquelles nul se s'attend'/la violence est utilisée car ça procure du plaisir ....") permet de visualiser les points clés bien que ça puisse sembler redondant parfois.
Cumberbatch incarne vraiment bien le personnage du mathématicien distant, orgueilleux mais honnête. Les petits tics et expressions faciales renforcent cette perception et l'opposition qu'il présente avec les autres personnages (l'impulsif Hugh).
On regrettera la platitude du personnage de Keira Knightley, cantonnée à quelques phrases "chocs" et poignantes, à un sourire impérissable, des remarques de fille ("quand j'étais célibataire je trouvais ça ennuyeux [de flirter] mais fiancée maintenant je trouve ça amusant" LOL) mais un intellect hors du commun histoire de justifier sa présence. On est tout à fait réceptif à l'idée qu'elle est enserrée dans le carcan sexiste du mi-20ème siècle et qu'elle est pourtant brillantissime en maths mais la caser sur un plan pique-nique au soleil où elle corrige Turing sur le théorème d'Euler (pour montrer qu'elle est calée hein *cligne cligne*) et le reste du temps à sortir des phrases de motivation mais qui sont passe-partout est bien dommage...
La seule petite scène de "rébellion" ne change pas la donne, justement parce qu'elle est unique et parce que l'ellipse temporelle après ne permet d'évaluer le changement de comportement de Joan Clarke .. Dommage !
Les "collègues" de Turing sont également bien campés et le contraste qu'ils forment par rapport à Turing permettent justement de mieux apprécier son personnage, ils contribuent en quelque sorte à "l'élévation" de son personnage et la synergie est donc réussie (chacun ayant sa petite scène particulière : Peter, Hugh et John, qui à chaque fois est correctement dosée et rend les personnages moins mystérieux).
Néanmoins, la fin du film semble prendre un tournant résolument plus tourné vers la question de l'homosexualité en Angleterre (au-delà de Turing même) et si le sujet est évidemment intéressant, la focalisation dessus est assez inattendue et trop marquée, sa présence en "second plan" du film (à travers l'enfance de Turing, le nom donné à sa machine, sa petite discussion sur ses relations avec Joan) étant largement suffisante et appréciable.
A contrario, la vision d'ensemble choquante (punir celui qui a contribué au dénouement d'un conflit mondial pour son orientation sexuelle et le condamner à la castration chimique) est bien retranscrite et ne laisse pas de marbre [d'où la visite de Joan chez lui]
Mais de manière globale, la gestion du déroulement de l'histoire est bien amenée, lorsque les problèmes se présentent, cela se fait de manière clairement identifiable et on comprend dès lors les réactions qui s'en suivent sans que cela soit exagéré.
Au-delà de cette réussite technique, je trouve personnellement le sujet très intéressant, la question de l'intelligence artificielle en temps de guerre (avec toutes les contraintes que cela apporte) puis l'oubli forcé des protagonistes au nom du secret d'Etat ...
Le traitement cinématographique est sobre et juste, ni trop sensationnel, ni trop lisse. Malgré cette mesure, on partage tour à tour l'affolement et l'abattement des personnages, et là est toute la force d'"Imitation Game".