Unforgiven est peut-être le film avec le titre le plus subtile et intelligent d'Eastwood, résumant tout le propos du film en un seul mot, intraductible en français sans passer par des périphrases. Ce titre n’est certainement pas « Impitoyable » comme l'ont traduit les Français, pas plus que ce n’est « Impardonnable », son titre québécois. « Unforgiven », c’est un état de fait, un jugement divin qui est déjà tombé, et ce dès le début du film. William Munny, bandit à la retraite, est un type qui croit en sa rédemption, qui essaie de tout faire pour se racheter de sa vie d’avant, sans qu’on nous dise exactement à quel point c’était une ordure. Pendant tout le long métrage, il essaiera de rester l’homme droit qu’il pense être devenu, aura même du mal à appuyer sur la gâchette quand ce sera nécessaire et c’est pour ça que la dernière séquence est absolument brillante. Les quinze dernières minutes du film, c’est tout simplement William Munny qui comprend une chose à son sujet : il n’a pas été pardonné, il ne l’a jamais été, il sait que son âme est damnée de toute façon, et le moment venu, il doit accepter sa nature démoniaque. D’où ce final monumental où le psychopathe qui vit en lui et qui n’a jamais cessé d’exister comme il le pensait ressurgit de l’Enfer pour un carnage sans précédent. C'est comme s'il se disait : « Pour moi c'est trop tard, le mal est fait, autant mettre le paquet et faire le mal si c'est pour empêcher que le mal se reproduise derrière. » Toute cette ambiguïté sur le rôle que se donne Eastwood sert un
Les westerns de Clint Eastwood ont toujours eu une dimension fantastique, c’était même déjà le cas chez Leone. L’Homme sans nom n’a jamais été autre chose qu’un spectre, une sorte de figure fantomatique dont ont se demande sans cesse s’il appartient vraiment au même monde que les autres personnages, s’il est visible par tous, mais à la fin d’Unforgiven, cette figure mythique trouve vraiment son accomplissement. Plus qu’un ange de la mort, c’est le diable en personne qui vient accomplir la vengeance finale dans cette séquence, ce qui justifie totalement certains effets tonitruants tels que la pluie et la foudre ou les regards effrayés de tous les témoins de la scène, d’autant plus que celle-ci est montée avec beaucoup de sobriété, sans aucune musique.
Et pour parler de la mise en scène d’un film de Clint Eastwood et avec Clint Eastwood, il faut surtout voir comment il se met lui-même en scène, en particulier dans ce final. On n’est pas du tout dans un jeu démonstratif et incroyablement expressif : ce qui compte le plus, c’est la façon dont il filme sa stature, son corps vieillissant qui peine à remonter à cheval, à voir clair à travers son viseur, et surtout sa voix grave et enrayée qui n’a probablement jamais été aussi imposante et classe et qui s’abîmera franchement dans les décennies suivantes. Eastwood offre vraiment une prestation monumentale. Dans les dernières minutes, quand il menace une ville entière de tuer tous ses habitants un par un, sous un orage déchaîné, avec une voix à la fois menaçante et effrayée, on atteint probablement des sommets d’épique, la réplique « You better bury Ned right ! You better not cut up nor otherwise harm no whores ! Or I'll come back and kill every one of you sons of bitches... » étant sans aucun doute la réplique la plus impressionnante que j'ai pu entendre dans un film, pas tellement pour ce qu'elle signifie, mais pour le ton sur lequel elle est délivrée, avec l'image du cavalier en noir sous la pluie, qui hurle dans la nuit contre une nation entière, sans que l'on ne voit personne d'autre, et les torches allumées, le drapeau américain en arrière-plan qui n'a jamais flotté aussi peu fièrement... Il y a pourtant peu d’effets frappants, de grandes fusillades ou de virtuosité à la Leone, mais chez Eastwood, on a une ambiance d'une extrême noirceur, où tout est statique, mais ça a comme impact qu’on ressent vraiment le poids des choses, la boue, les lourds éperons et la pluie.
C’est probablement le meilleur Eastwood, son meilleur western en tout cas. Naturellement, il n’a pas pu s’empêcher quelques lourdeurs, pas du tout dans la mise en scène, mais dans l’écriture de certains personnages, le shérif par exemple, mais surtout le petit jeune qui finit traumatisé par son premier meurtre. Eastwood en fait toujours un peu trop passer par des dialogues explicatifs assez peu crédibles, ce qui en plus donne parfois lieu à un certain automatisme du champ-contrechamp, mais c’est loin d’être envahissant.
C’est de toute façon un tellement bon film, sur un pays rongé par une extrême violence, et là où il est le plus fort, c’est qu’il n’est pas si violent que ça dans ce qu’il montre, qu’il ne va pas à l’encontre de son propos en faisant du gore pour le spectacle.