Un bon film sur lequel j'ai des réserves qui grandissent au fil du visionnage, au point d'en arriver à cette note surement injustement basse. Honnêtement le travail d'adaptation est très honnête et fait l'effort de mise en scène, pendant la première heure et demi surtout, on a une chouette alternance entre plans serrés sur les objets des scènes charnière, plans plus larges dans lesquels apparaissent les armes devant tout le reste... on se passionne pour le scénario sans avoir envie de reprocher au film de n'être que ça.
Mais le dernier acte laisse une grande frustration, un grand sentiment de sous-exploitation. Certains actes de violence sont jugés bons d'être montrés, mais seulement ceux perpétrés contre les personnages qu'on ne connaît pas. Villeneuve n'ose pas montrer la cruauté qui est au centre du récit qu'il adapte, en se servant et se reposant sur les informations déjà données au spectateur. Au service de choix brillants, parfois : le chant de Nawal en prison et le fait de n'entendre que les cris finalement nous pousse à nous imaginer nous-mêmes les horreurs qui engendrent de tels cris. Soit, la pire des violences est celle que l'on compose tout seul. Mais encore une fois, sur un personnage qu'on ne connaît pas.
Je trouve que le choix de ne pas montrer les violences sur Nawal concorde avec le choix de Mouawad de ne pas situer le récit précisément. On est entre le Liban et l'Israel-Palestine, ce n'est d'ailleurs pas caché, mais sans aller jusqu'à préciser les lieux. Tout comme on fait comprendre que Nawal vit l'enfer, sans le montrer directement, parce que c'est "trop". Ce n'est pourtant pas du voyeurisme que d'espérer ça, puisqu'il est question d'absences de Nawal en tant que mère, sans doute liés aux traumatismes d'une telle expérience.
Ces manques répondent à une mythification de ces gens qui ont souffert. Et qui est dangereuse : opérée par une très chouette bande son, l'addition des ellipses visuelles citées et du son désincarne la cruauté qui, étant la cause directe de cet improbable tissu familial, n'est nulle part ailleurs qu'au cœur du film. Si un tel procédé n'est pas dénué d'intérêt cinématographique, utilisant le médium pour faire d'un personnage ce que son parcours ne l'a pas laissée être il a aussi l'effet pervers de vider de sa substance la souffrance au profit de l'icône que son objet devient.
Toutes les réserves et toutes les qualités que l'on peut reconnaître à ce film tiennent, finalement, en la sous-exploitation du final. Nous n'en savons pas plus sur ce que pense le fils-bourreau avant qu'après la réception des fameuses lettres. Érigé comme un second climax, le premier étant la découverte de la vérité et du passé carcéral de la mère par les jumeaux, Nahid n'est que très peu humanisé. Du frère recherché par le fils prodigue, il est finalement perçu par les jumeaux indissociablement de ses crimes, qui s'en tiendront dans leur contact avec lui à la remises des lettres. Je disais, tout d'un point de vue critique est dans cette scène, la déception de ne pas voir Nahid humanisé, la réhabilitation de la pudeur de la caméra, la romantisation de la cruauté, sans pour autant la rendre inconséquente.
(écrit au fil de la plume)