Camille (Linh Dan Pham) est « irrésistible », dit d'elle sa mère adoptive ; superbement vénéneuse effectivement, comme le découvrira Jean-Baptiste (jeune officier de Marine breton) ; meurtrière* même, cette future « Princesse rouge »...
Si Catherine Deneuve, la maman, est le personnage central (et la narratrice) de cette superbe fresque historique --- dont le fil rouge est la passion amoureuse suscitée par un écorché vif chez deux femmes d'âges très différents --- c'est bien à travers le personnage de Camille que progresse l'intrigue de ce mélodrame enlevé qui a pour toile de fond la colonisation française en Asie du Sud-Est.
Colonisation : spectre/moment plus étendu que la seule exploitation de la plantation d'hévéas, car Régis Wargnier propose une vision ample de la présence de la France en Extrême-Orient à cette époque (années 1920-1930).
Indochine est ainsi, malgré sa durée (160 minutes), un film dense qui ne se contente pas de mettre l'accent sur les rapports entre les propriétaires hexagonaux et leur main d'œuvre indigène.
Il y est aussi question de leurs liens avec les autorités coloniales (police et armée), de la tension entre ces deux institutions, de l'influence de Paris, du rapport des colons avec la noblesse et la bourgeoisie locales, des vues de cette dernière sur le peuple, des coutumes indochinoises, du folklore populaire, de la montée du communisme, etc.
L'élite, c'est nous, parce que nous sommes riches !
Un film très ambitieux, donc, qui parvient à intégrer au récit de nombreux éléments socio-politiques avec beaucoup de fluidité, sans nuire au déroulement de l'histoire ni à l'esthétisme (somptueux).
Les accusations de « clichés » laissent donc songeurs, tout comme celles voyant de la théâtralité là où se manifeste surtout de l’élégance. Il y a un siècle, les Français ne grognaient pas à cent à l'heure comme aujourd'hui --- et encore moins dans la haute qu'ailleurs.
Les personnes estimant que la colonisation n'a pas été que synonyme de spoliation intégrale pourront par contre reprocher à Indochine d’être très majoritairement à charge. Le portrait des colons français y est en effet peu flatteur : enfants gâtés, oisifs, cyniques et brutaux.
La patronne protectrice et aimante cravache un ouvrier qu'elle traite ensuite de « déserteur » et à qui elle demande : « Tu crois qu'une mère aime battre ses enfants ? ». L'homme, à genoux, de répliquer : « Tu es mon père et ma mère »... avant de se prosterner.
Catherine Deneuve est éblouissante en entrepreneuse amoureuse et opio(wo)mane et les deux autres rôles principaux (Linh Dan Pham et Vincent Perez) sont à la hauteur, tout comme les seconds (Jean Yanne et Dominique Blanc, excellents).
On pourra toutefois regretter deux histoires d'amour un peu trop enflammées, trop soudaines, ainsi que le jeu ridicule d'un acteur suisse incarnant... un Corse (et possédant l'accent insulaire comme Jean Lassalle celui des titis parisiens).
Pour le reste, Indochine est un film audacieux et réussi : fort, plein de panache et de souffle.
* meurtrière d'un officier français, parasite violent, mouche inutile du coche colonial.