Pour moi, il y a deux Paul Thomas Anderson : celui que j'aime beaucoup et celui que j'aime beaucoup moins. Je m'explique. Quand le réalisateur met en scène une galerie de personnages bien fêlés dans une intrigue un minimum structurée, un minimum claire, j'adhère. Quand il met en scène une galerie de personnages bien fêlés dans une intrigue donnant l'impression d'être aussi fêlée, j'adhère beaucoup moins. Voilà, c'est bateau, cependant, c'est ma subjectivité qui veut cela.
Donc, autant dire qu'après lecture du synopsis et des diverses critiques en moyenne pas franchement emballées, je n'étais pas pressé de voir ce Inherent Vice de deux heures et demie s'annonçant comme un film noir sous acide. Déjà, dans ce genre, il peut y avoir une couche d'incompréhensibilité totale. Vous vous souvenez du Grand Sommeil ? Ouais, évidemment. Vous pouvez me résumer tout son scénario ? Non, moi non plus. Ben, vous ajoutez par-dessus une autre couche de gros délire sous drogue. Au bout de cinq minutes, la réaction normale est de capituler quant à savoir ce qui se passe.
Les points positifs, je tiens à les souligner vite fait. Le cinéaste est imbattable pour ce qui est de reconstituer l'essence visuelle des années 1970. Il suffit de regarder aussi Boogie Nights et Licorice Pizza pour s'en assurer. La mise en scène en elle-même (décors, costumes, etc. !) est admirable. Joaquin Phoenix pète le charisme à chaque instant. Josh Brolin a le droit à de gros délires dans lesquels il est comme un poisson dans l'eau (il suffit de le voir hurler une commande de restaurant en japonais, du gros WTF brillant !). Et Katherine Waterston, par son côté légèrement poupin, son bronzage et son attitude n'a aucun mal à faire croire qu'elle est une fille des seventies. En plus, elle dégage un érotisme fort. Une des très rares séquences à m'avoir sorti de ma torpeur est celle où son personnage parviendrait même à mettre au garde-à-vous le petit soldat d'un mort.
Bon, voilà, autrement, je me suis fait chier comme un rat crevé, mais sérieux, j'ai eu du mal à me tenir éveillé. Je n'ai rien contre les gros trips, demandant un sens aigu de l'interprétation de la part du spectateur, toutefois, se contenter pendant 150 fichues minutes d'accumuler, sans véritable fil narratif clair, des scènes où il y a juste des échanges de répliques complètement abscons, juste de nouveaux visages apparaissant (ou très peu apparus auparavant !), sans chair, sans consistance, sans prendre la peine de creuser leur personnalité (non, la silhouette d'une star très connue ne change rien à l'affaire, à part que l'on se dit entre deux bâillements "ah oui, c'est gnagnagna" ; voilà, c'est tout !), non, ce n'est pas suffisant. Rien pour se raccrocher, rien d'excitant.
Remarquez, je suis peut-être injuste. Après tout, le très très peu de fois dans ma terne existence où j'ai fumé des choses pas très légales (il ne faut pas le faire, c'est de la merde dans tous les sens du terme !), la seule sensation que j'ai ressentie (à part tousser comme un gros malade !), c'est un endormissement, sans la plus petite bouffée d'euphorie. Paul Thomas Anderson voulait certainement insuffler l'impression d'un gros pétard. Si on se place de ce point de vue, c'est en quelque sorte "réussi" pour moi, puisque j'ai ressenti une sensation d'endormissement, sans la plus petite bouffée d'euphorie.