Into the Abyss par pierreAfeu
Sorte de frère cinématographique du puissant De sang froid de Truman Capote, Into the abyss se penche sur une histoire similaire, aussi terrible qu'absurde, tragédie minable mais édifiante, presque ordinaire, montrant à nouveau, comme s'il fallait encore s'en convaincre, que tout criminel n'est pas un monstre, mais un homme. Il faut donc encore (nous) regarder en face, entendre ce que nous sommes capables de nous infliger à nous même, pour (peut-être) mieux nous comprendre. Si la démarche est illusoire, elle a le mérite d'exister, elle se doit d'exister si l'on veut encore prétendre au statut d'animal doué de raison.
La méthode de Werner Herzog est claire. Bien qu'il confirme dès le départ qu'il est opposé à la peine de mort, le procédé qu'il va mettre en place sera le plus objectif possible, le plus clinique. Cela n'empêche pas les échanges humains, l'empathie, la compréhension de l'autre. Entre les deux condamnés (l'un à mort, l'autre à perpétuité) du triple meurtre qui aura ôté la vie, 10 ans plus tôt, à une mère, son fils, et un ami du fils, les familles des victimes, le père (lui-même en prison) de l'un des condamnés, sa femme épousée depuis sa condamnation, la tragédie de destins sacrifiés d'avance, s'immisce dans un système qui se mord la queue. Les dernières heures du condamné à mort nous sont racontées minute par minute, et illustrent l'absurdité d'un procédé qui cherche à rendre humain ce qui ne l'est pas.
Très peu d'émotion dans Into the abyss. Pas du côté des condamnés, pas vraiment du côté des familles des victimes. Chacun semble se résoudre à jouer son rôle. Comme si le film avait déjà été écrit. Seul le père de l'un rêve de revenir en arrière, assister au tournoi de foot de son fils, lui construire une autre vie... C'est le sentiment de fatalité qui domine, dans un cercle infini de violence, de misère morale, de désarroi.
Et puis deux témoignages nous bousculent réellement, ceux de deux hommes extérieurs au drame : l'aumônier, et un ancien gradé de prison, chargés tous d'eux d'accompagner les condamnés à mort jusqu'au bout. Il y a celui qui croit encore que Dieu donne un sens à tout ça, et celui qui a jeté l'éponge après avoir assisté à plus de 120 exécutions. L'un comme l'autre pointent mieux que tous les autres, l'absurdité d'un monde qu'on ne maîtrisera jamais.
On sort de ce film avec un profond sentiment d'impuissance. On n'est pas dévasté, juste découragé, comme s'il n'y avait rien à espérer de l'homme, jamais.