Il est 22h10. Je suis installé dans mon siège depuis un peu moins de deux heures. Fondu au noir, début du générique de fin. Un groupe de jeunes, qui avait été rappelé à l’ordre en début de film et avait été peu discret pendant, se lève comme un seul homme et crie (littéralement) au scandale. Une femme, assise à deux places de la mienne, se tourne vers moi en me demandant : « Mais c’est quoi ce film ?! ». Je me sens gêné pour elle. Gêné qu’elle n’ait pas su apprécier les qualités de l'oeuvre. Gêné aussi qu’elle n’ait pas eu droit à ce qu’on lui avait vendu.
« Un chef d’œuvre de l’horreur », « Ne sortez jamais la nuit ». Voilà ce qu’on peut lire sur l’affiche. La bande annonce, elle, présente un film d’horreur classique. Cela suffisait, surtout pendant la fête du cinéma où les places sont proposées à tarif réduit, pour ramener dans les salles obscures un certain public avide de sensations fortes. Ces gens-là ont été trompés, contraints de voir un film qu’ils n’avaient pas envie de voir. Comprenant leur frustration, j’aurais aimé toutefois qu’ils ne passent pas la séance à saboter le plaisir des autres…
Mais alors, It comes at night, c’est quoi ? J’étais moi-même perplexe en sortant de la salle. Est-ce vraiment un film d’horreur ? Du monde dévasté, observé au prisme d’une famille recluse dans une maison forestière, nous ne voyons ni ne savons grand-chose. Une menace plane, particulièrement la nuit. Cette menace est monstrueuse, mais pas physiquement parlant : il s’agit de la peur, un grand mal qui ronge l’être humain. Peur de la nuit, peur de la mort et, surtout, peur de l’autre. Le but n’est pas de faire peur avec ce qui est visible, mais avec ce qui ne l’est pas.
La réalisation sert cet objectif. On nous fait vivre l’histoire au travers des personnages. Le spectateur n’est pas omniscient, il doit se contenter de ce qui est vécu par cette famille au fond des bois, comme s’il était lui-même coupé du monde. Il n’a d’autre choix que de se faire résumer la situation par un père de famille paranoïaque prêt à attacher un étranger à un arbre pendant 24 heures sans même lui laisser la chance d'expliquer sa présence. L’utilisation de la forêt est audacieuse, en ce qu’elle empêche de voir ce qui se trame autour de la maison. À l’intérieur de cette maison, l’ambiance est sombre. Méfiance et peur de l’autre sont au centre des relations entre les deux familles qui cohabitent. Il y a beaucoup de plans-séquence très lents, qui traduisent la tension ressentie par les personnages. Une porte, rouge, est le symbole sépare cet îlot du monde réel avec un mot d’ordre : on ne sort pas seul, on ne sort pas la nuit. Y a-t-il vraiment quelque chose dehors ? Probablement, mais nous ne le saurons jamais vraiment.
L’écriture s’attarde sur les rapports sociaux en temps de crise, et le recentrage sur la famille, seul espace de confiance immuable. En dehors de ce cadre, c’est la peur de l’autre qui domine. Le monstre, parfois, c’est l’homme, incapable de faire confiance à son prochain, et prêt à tout pour défendre ses proches. Ce film est une transposition de l’institution familiale dans un contexte post-apocalyptique, et permet de voir comment les solidarités classiques s’altèrent pour aboutir sur un modèle beaucoup plus excessif.
Présenté comme ça, on aurait aisément compris que le film serait lent, angoissant, et qu’il questionnerait nos instincts primaires. Pas de monstre, pas de jump-scare (il y en y en un ou deux dont on peut facilement questionner la pertinence dans les séquences de cauchemars), mais un film certes lent et figé, mais très sombre et dans laquelle la peur vient de l’ambiance et non des faits. Ça tombe bien, c’est ce que j’attends d’un bon film d’horreur : une ambiance et des réflexions sur l’humain. J’ai aimé même si je suis resté sur ma faim et que le point de vue adopté fait que le film n’a finalement pas grand-chose à raconter. Apprécier ou non ce film revient à se demander ce qu’est un film d’horreur. Deux visions s’opposent, qui justifient assez aisément que ce film divise profondément le public. Je comprends facilement que certains, manipulés par un marketing mensonger, se soient sentis floués.
MAIS PUTAIN, ça ne vous donne pas le droit de faire chier le monde pendant toute la séance !