Si l'Affaire Dreyfus est restée profondément ancrée dans les mémoires, bizarrement, à part quelques courts des débuts du cinéma des Méliès et Zecca, un film hollywoodien oscarisé sur Zola et un téléfilm de très bonne facture d'Yves Boisset, on ne peut pas dire qu'elle ait particulièrement inspiré les cinéastes de fiction.
Donc, on ne peut pas dire que Polanski a fait dans le vu et le revu. D'autant plus qu'il aborde cela à travers un angle intéressant en prenant le point de vue de ce qui est un des premiers lanceurs d'alerte de l'histoire, le lieutenant-colonel Picquart.
Angle d'attaque intéressant parce que cela donne le ton d'un thriller d'espionnage, mais aussi parce que cela apporte de la nuance dans la portraitisation du personnage. On a affaire à un homme qui ne manque jamais une occasion de cracher fièrement son antisémitisme, mais qui, dans le même temps, ne supporte pas qu'un innocent, aussi juif soit-il, croupisse en prison. Jean Dujardin impose sans mal son charisme et son talent à ce caractère subtil et contrasté.
Pour les autres acteurs, on signalera aussi un excellent et méconnaissable Louis Garrel dans le rôle de Dreyfus, tout en droiture et en dignité. Par contre, juste créer un personnage féminin, qui sert à pratiquement que dalle, pour bien montrer combien son épouse dans la vraie vie est une mauvaise comédienne, c'était vraiment dispensable. Je passerai sur certains cabotinages atroces venant de quelques seconds rôles ; mention spéciale à Mathieu Amalric dans le rôle de Bertillon, qui pense que parler fort et s'énerver constamment sont les meilleurs moyens de jouer.
Pour revenir brièvement sur les qualités d'ensemble, il y a aussi une belle qualité d'écriture. Rendre aussi clair une affaire aussi complexe et tortueuse dans un monde aussi trouble que l'espionnage est un grand mérite à souligner. C'est carré, c'est précis, c'est du bon boulot à ce niveau-là.
Mais retour aux reproches pour ce qui est de la réalisation, la reconstitution reste un peu trop classique, trop proprette, trop lisse (seuls les bureaux négligés et bordéliques du service de renseignement militaire échappent à cela !). Bref, ce n'est pas dans la reconstitution visuelle d'une époque qu'il faut rechercher les qualités de ce film.
En résumé, J'accuse une belle prouesse sur les plans de l'écriture et du jeu de l'acteur principal. Néanmoins, je continue toujours à préférer le Polanski réalisateur des années 1960 et 1970, celui qui savait vraiment aussi bien écrire avec de la pellicule qu'avec de l'encre.