C’est marrant de voir comment la vision que le grand public a de Jackass a évolué avec le temps. C’est-à-dire que maintenant, il me semble qu’une grande tendresse existe envers ces gars. C’est évidemment parce que les ados qui les mataient sont aujourd’hui la majorité non-silencieuse, tandis que la génération du dessus, ceux qui les voyaient comme les suppôts les plus débiles de Satan, se fait moins entendre.
Mais j’ai aussi l’impression qu’avec le temps, on a fini par trouver une forme de substance à leurs conneries, ou en tout cas un sens, même si ce sens s’est trouvé au bout d’une réflexion nostalgique.
Maintenant, on voit dans Jackass l’exultation d’une jeunesse qui étouffait dans l’Amérique corpo et prospère pré-11 Septembre. Une jeunesse qui pour éviter de mourir d’ennui dans ses banlieues, alors que l’Amérique semblait avoir atteint un pic dont elle ne s'élèverait pas plus qu’elle n’en retomberait, semblait vouloir vivre sa grande révolution sous la forme d’une violence tournée vers elle-même, son propre corps. Comme l’application désespérée d’un instinct profond qui veut goûter l’existence à travers sa mise en danger. Un peu de violence, de folie et de primalité avant un avenir passé à se morfondre dans un bureau déprimant, le tout dans un esprit clanique.
Je sais, c’est débile de vouloir intellectualiser un truc justement très débile, mais il y a forcément une raison pour le succès énorme, générationnel de Jackass et le fait que ça ait émergé à une époque qui a aussi vu sortir Fight Club, Office Space, Matrix…
Le fait qu’on ait maintenant cette tendresse envers Jackass, cette conscience qu’ils nous ont permis de faire sortir quelques instincts primaires sans nous mettre nous-même en danger, ados qu’on était, comme un exutoire qu’on reconnaît et dont on est reconnaissant, fait flotter autour de ce nouvel opus un autre parfum que celui des prouts.
C'est celui de la nostalgie. Mais une nostalgie qui n’est pas savamment déployée, instrumentalisée pour vendre des tickets, comme d'autres "legacy-sequel". En effet, ici, ils font ce qu’ils ont toujours fait, sans vraiment d'autres commentaires. Non, c’est simplement la nostalgie ressentie en voyant qu’ils ont vieilli, que leur corps ne peut pas aller aussi loin qu’avant, que des têtes ont disparu, que les nouveaux disent avoir regardé Jackass quand ils étaient ados… C'est la nostalgie ressentie face au temps qui a passé, pas au fait qu'il réémerge dans le présent.
Mais en même temps, il y a le plaisir de voir qu’ils sont toujours droits dans leur botte quand à la débilité totale de leurs performances. Ils n’en dévient pas pour justement y réfléchir ou y ajouter du pathos. Cette pureté dans la connerie, avec l’effet cumulatif des années, ça devient assez beau, mais surtout ça reste toujours drôle.
Après je dis tout ça, et sur l’ensemble c’est ce qu’on retient, mais on c’est vrai que plusieurs cascades consistent à reproduire certaines des films précédents. Donc non seulement il y a un peu moins d’originalité, mais ce serait aussi faux de dire qu’ils ignorent complètement leur passé et leur “héritage”. Il y a donc quelques clins d'oeil, mais autrement c'est vraiment le générique qui cède à la dimension nostalgique de l'affaire, c'est donc vraiment réservé à la fin de la fin.
Mais bref, les légères touches rétro/répétitives sont emportées par l’affection qu’on a pour ces crétins, leur plaisir manifeste d’être là, réunis et vivants, et l’esprit de camaraderie qui n’existe que dans le fait de faire de grosses conneries ensemble.
C’est l’une des versions les plus réussies d’un exercice que de nombreux films tentent de faire aujourd’hui : mettre notre passé en bouteille. C’est parce que le film n’a pas à le faire à travers l'invocation de figures et de symboles qu’on pourra reconnaître, puisque le projet Jackass est fondamentalement nourri d’une énergie qui a appartenu et qui existe dans notre jeunesse. Ils ont juste à faire de la merde et la nostalgie, sincère et honnête parce que très simple, est là. Et quand on en a fini d’essayer de confronter la mort pour se familiariser avec le concept, c’est bien aussi de se rappeler qu’à une époque, certains nous ont aidé à le faire.