A tort ou à raison, John F Kennedy et son épouse Jackie sont de véritables icônes de l'Amérique du XXème siècle, au rayonnement international. Alors qu'on s'intéresse en général davantage au parcours épique du 35ème Président des USA et à sa fin de trajectoire tragique qui a traumatisé une bonne partie des citoyens de son pays, Pablo Larrain s'attache ici à Jaqueline Bouvier, Kennedy, future Onassis, et à la façon dont elle a vécu la mort de son illustre époux et les quelques jours, terribles pour elle, qui ont suivi ce drame.
Personnage mythique dans l'inconscient collectif de par sa grâce, son amour des arts et son glamour tout au long du bref mandat de JFK, puis de par sa dignité après l'assassinat de celui-ci, dans son rôle de veuve la plus aimée et plainte du monde, Jackie était sans doute un personnage bien plus complexe que ce que la plupart d'entre nous savent à son sujet. C'est là ce que ce biopic tente de nous faire réaliser, la détachant de son image figée sur papier glacé. Un programme plutôt alléchant.
Et durant une bonne moitié du film, la promesse est tenue. Malgré une narration à la temporalité déstructurée, le personnage prend forme sous nos yeux et à nos oreilles, admirablement incarné par une Natalie Portman qui a scrupuleusement étudié son sujet. En effet, malgré une absence de ressemblance physique, l'actrice parvient à donner corps à une Jackie élégante, consciente de l'impact de son image sur la popularité de "l'homme le plus puissant du monde libre" qu'est son mari, lisse et agréable en public, forte et déterminée en privé, à la diction particulièrement soignée, un léger souffle dans la voix qui charme sans avoir l'air de le faire exprès. Les différences entre les personnes publique et privée sont parfaitement comprises et assumées, assez habilement mises en relief par le metteur en scène qui nous montre qu'elle était très loin d'être une simple femme potiche mais au contraire quelqu'un qui savait ce qu'elle voulait et comment imposer ses choix, surtout dans cette période où le chagrin aurait pu lui faire totalement perdre pied comme tout le monde ou presque s'y attendait. Bien qu'émotionnellement anéantie par l'assassinat de son mari, Jackie a pleinement conscience de ce qui se joue dans les premières heures et les premiers jours suivant la tragédie, et trouve la force de ne se faire dicter ses actes et son attitude par personne, de refuser le politiquement correct, et d'assurer la pérennité de l'héritage de son mari, de construire sa légende qui n'a pas encore eu le temps d'être vraiment bâtie.
Mais le film pèche déjà par sa volonté de plonger le public dans l'époque qu'il dépeint... Si la reconstitution historique est tout-à-fait convaincante (mais bon, c'est la moindre des choses pour une production de ce calibre), Larrain pousse le vice jusqu'à vouloir donner à sa photo un grain d'image comparable à celui des caméras qui y étaient utilisées. Ce qui fonctionne plutôt bien dans la partie reconstituant une visite guidée de la Maison Blanche réellement effectuée par la Première Dame dans une volonté de la présenter comme la "Maison du Peuple", adoptant un noir et blanc granuleux fidèle aux documents d'archive. En revanche, lorsqu'il applique la méthode à d'autres séquences, cela crée une image à la définition plus que pauvre et à la netteté approximative comme s'il s'agissait là aussi d'un documentaire d'époque, ce qui ne fonctionne pas et au contraire agace d'autant plus que sur des plans plus serrés on revient à une netteté plus léchée, visiblement retravaillée numériquement. En résultent une photo schizophrénique et une fatigue de l'oeil du public, inexcusables pour un film réalisé en 2016.
Autre point noir, la musique de Mica Levi, qui vise par ses violons omniprésents à installer une ambiance oppressante, conviendrait mieux à un thriller psychologique ou à un film empreint de mystère comme le singulièrement génial Under the Skin (dont elle avait précédemment signé la bande originale), plutôt qu'à cette histoire d'une femme qui se débat entre son chagrin, le poids de l'Histoire et son inquiétude pour son avenir et celui de ses enfants. Elle induit une distance émotionnelle qui empêche de pleinement apprécier la prestation de Natalie Portman, et installe une langueur propice à l'endormissement. Tout comme le montage dont le systématisme finit par irriter, puis créer un irrésistible ennui!
D'ailleurs, le traitement même du personnage principal finit par être contre-productif. Si au début du film on souffre avec elle, on constate les effets du terrible choc qu'elle vit, et on peut s'identifier, progressivement un glissement s'opère. Les scènes choisies, longues, laborieuses, ses réactions, de plus en plus déshumanisées, son égocentrisme maladroitement exposé, empêchent d'être encore véritablement émus, touchés par cette femme dont la dimension maternelle n'est qu'à peine effleurée, dont la détermination semble en fait forgée par des considérations finalement assez dérisoires et superficielles au regard de la magnétude des évènements...
Alors certes, on apprécie la présence, pour son dernier rôle au cinéma, du regretté John Hurt campant un surprenant prêtre confesseur poussant Jackie à affronter ses démons intérieurs, mais il est déjà trop tard. L'ennui a déjà assis son emprise sur cette histoire qui peine à décoller et à trouver un souffle dramatique puissant. On attend avec impatience le générique de fin qui se laisse désirer, et on constate avec un sombre rictus que quelques ronflements se font entendre dans la salle de cinéma... Et lorsqu'enfin le film se termine, et que l'on tourne son regard autour de soi, pour guetter les réactions du reste du public et savoir s'il s'est lui aussi ennuyé ou s'il a été au contraire ému aux larmes, on sourit en voyant quelques personnes se frotter les yeux et afficher l'air ahuri et un peu béat de ceux qui se réveillent d'une sieste réparatrice.