Connaissez-vous la sainte trinité des clichés du cinéma français ? Les téléfilms policiers, les comédies problématiques et les drames relous sur fond de déprime. Or, il se pourrait bien que le sujet du jour, avec en plus, gros red flag, un titre à rallonge, soit le candidat parfait pour la 3e catégorie. Sauf qu’ici, plus que de balancer des clichés qui n’ont pas beaucoup de sens, on va voir les films qui en en seraient victime, et si je ne m’abuse, ce Je verrai toujours vos visages semble montrer que ce genre de raisonnement n’a (pour la énième fois) pas beaucoup de sens. Le pire étant qu'à l'inverse, de nombreux green flag montrent le potentiel de ce film au-delà de son sujet, soit, les débuts de la justice restaurative. En effet, on a une réalisatrice expérimentée, ayant notamment accouchée (pas fait exprès du jeu de mot) de Pupille, un casting 5 étoiles, regroupant de petits rôles comme pour Darroussin ou Podalydès (le cadet), ou des têtes d’affiche comme Lellouche, Exarchopoulos, miou-miou ou encore Bekhti, et tout simplement, la promesse d’avoir en moins de 2 heures, un melting pot de ce qui constitue ce sujet pourtant à priori dense et flou. On peut dire qu’il y avait de quoi avoir un minimum d’attente. Eh bien dites-vous que, vu que le monde est suffisamment bien fait, nos chers auteurs franco-français ont répondu à ces attentes, voire les ont dépassés.
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Pour avoir discuté avec certains amis (car oui, ça m’arrive), beaucoup se demandaient ce dont allait concrètement parler ce Je Verrai toujours vos visages, quelle intrigue ils allaient suivre au-delà de la simple idée de voir le fonctionnement de cette justice restaurative. Ce film au nom beaucoup trop long mais beaucoup trop beau va scinder son récit en deux après une séquence d’intro ou Podalydès (seulement là en caméo, ou presque), dans une mise en situation, pour ne pas dire mise en scène, réexplique aux intervenants le but et les nuances de ce programme. Un moyen, un poil trop explicatif mais diablement efficace d’introduire les personnages, leur dynamique, mais surtout les enjeux. En effet, comme dit plus haut, nous sommes en 2014, et cette justice restaurative n’en est qu’à ses balbutiements, on peut même dire qu’il s’agit d’un test, et que l’échec de cette mise en relation pourrait condamner ce projet. Cependant, passé cette introduction, le récit se scinde finalement et rapidement en deux, deux parties pas forcément chorales mais qui vont, dans leur finalité, finir par s’imbriquer de manière logique. La première histoire, la plus mise en avant, c’est le haut de l’iceberg dira-t-on : un programme de discussion et de médiation autour d’une table ronde entre deux groupes de personnes, le premier (interprété par miou-miou, Leïla Bekhti et Gilles Lellouche) victimes d’infractions, le second, auteur d’infractions diverses au sein d’une prison. Contrairement à ce qu’on pourrait attendre, aucun de ces personnages n’a de lien, si ce n’est par la violence d’un délit qui les force, de manière concrète ou non à être renfermé. Aussi, il est intéressant de voir qu’aucun de ces personnages n’est réellement manichéen, si du moins le parcours de ces derniers peut paraître évident voire cliché. Un sentiment aidé par le but énoncé en début de métrage, de chacun des protagonistes dans la participation à ce programme, but qui semble fermé à toute évolution. Or le film plus que de se débarrasser de ces aprioris laisse la parole autant aux victimes qu’aux criminels dans le seul et unique but de comprendre, voire de dépasser ce stade primaire. La relation entre les personnages, au départ un peu froid, même au sein d’un unique groupe (que ce soit un regard noir de miou-miou ou une absence injustifiée d’un des détenus) va finir par prendre en densité, en force et même en symbiose. Que ce soit en s’affranchissant d’un « bâton de parole » ou tout simplement, en ne faisant plus aucune différence entre la position de chaque personnage.
Le second récit quant à lui, suit en grande partie Adèle Exarchopoulos, apprenant l’arrivée de son frère non loin de chez elle. Qu’est-ce qu’on s’en fout dira-t-on ? Eh bien il se trouve que ce dernier a abusé d’elle dans leur prime jeunesse, en résulte un passé que notre protagoniste tient pour traumatique. Au-delà de ce point de départ, la question s’épaissit au fur et à mesure, questionnant sur si c’est par l’acte en lui-même ou la perte symbolique du frère au tribunal qui a détruit le personnage. Ici, la médiation entre la victime et le criminel n’est pas directe, on a, sauf à la fin, qu’un seul des deux points de vue malgré la présence d’une médiatrice ; ce qui permet d’éviter la répétitivité entre les deux histoires. Ces histoires, sans pour autant être chorales, s'emboîtent parfaitement puisqu’elles réussissent à la fois à intégrer une grande partie des thématiques et enjeux de la justice restaurative, mais montrent aussi, dans un cadre pourtant continuellement axé sur le présent, d’un côté l’après, de l’autre, l’avant de la médiation et de la réconciliation entre soi-même et la violence qui a drastiquement bouleversé la vie des personnages. Deux parties qui s'emboîtent d’autant plus, qu’elles dynamisent le récit général, bien que ce dernier soit dans les faits, parfois plutôt mal dosé entre des sauts temporels quelques fois confus et des ventres mous dû à quelques passages obligés ou le développement de personnages secondaires (notamment les médiateurs) que je vous avouerai avoir zappé de ma mémoire. Pour autant, toutes ces scènes, qu’elles puissent paraître superflues, moins bien fournies ou moins intéressantes, participent à nous montrer tout ce qu’englobe ce terme assez vague de « justice restaurative » et ainsi, quoiqu’il en soit, de ne jamais nous laisser en dehors du métrage.
Au-delà de l’idée d’avoir un film thématiquement conséquent, l’enjeux important auquel je voulais voir se heurter Jeanne Herry, était de voir comment elle aller faire de la mise en scène on ne peut moins téléfilmesque avec un sujet pareil mélangeant huis-clos et longs dialogues ; pour l’anecdote sortis d’une traite sur le plateau. Pour se faire, notre réalisatrice du jour nous sort tout d’abord son talent de monteuse. Bien que j’aie pu pester contre l’alternance entre les deux récits et quelques couacs liés à cet exercice plus haut, force est de constater qu’il s’agit d’un des grands atouts du film. Comme dit ci-dessus, au départ, la plupart des scènes de discussions ont été filmées d’une traite, le tout sous l’œil avisé de 3 caméras dispersées autour de la pièce (du moins pour les médiations en table ronde). Au vu de la quantité d’informations véhiculées, et vu le nombre conséquent de personnages, son but a par la suite été de synthétiser les histoires, les conflits, les interactions, bref, la place de chacun des personnages. Toujours pour l’anecdote, le film devait, de l’aveu de la réalisatrice, durer plus de 3h, et en voyant cette durée, son but a aussi été de fluidifier, dynamiser et raccourcir l’ensemble, toujours dans une idée de synthèse. Si ça a dû impacter quelques personnages à mon goût pas assez présents, on peut noter la réussite globale de Je verrai toujours vos visages dans le montage, qui, ainsi, rend palpitantes, intrigantes et jamais chiantes des scènes de discussions où la caméra ne quitte (si ce n’est par bribes (de souvenirs ?)) la pièce dans laquelle, en tant que spectateur, nous sommes dès lors immergés. Aussi, en plus de l’exercice du montage, Jeanne Herry s’est servie de son nombre important de caméras pour ne pas se contenter de simples champs-contrechamps. S’il n’y a pas de plans-séquence notables, une esthétisation à outrance ou une sur-signification débordant de chaque plan, ces derniers sont choisis avec soin par la réalisatrice. Tout d’abord, car comme le montage, ces plans sont suffisamment bien choisis pour dynamiser le récit, ce qui peut paraître superflus, mais au contraire, important pour rendre intelligible et fort le propos s’ensuivant. Ensuite, car ces derniers, bien que le film soit essentiellement verbeux, arrivent à capter sans usage de la parole le ressenti de tel ou tel personnage vis-à-vis d’un autre à la fois avec subtilité et en même temps, logique. Enfin, la mise en scène sert à immerger encore plus le spectateur dans les pièces où il met les pieds, mais aussi, faire ressentir le poids de tel ou tel personnage par rapport à une séquence précise. Elle peut aussi marquer l’importance d’une scène, notamment des points de vue panoramiques, presque omniscients, de la salle (à la manière de l’affiche). Dans tous les cas, ces images sont choisies avec précision et restent le petit truc en plus qui démarque le film d’autres, plus plan-plan ; notamment car ces plans choisis subliment aussi tous les autres métiers techniques (son, photographie, etc.) et le récit en général. On peut dire qu’en plus du téléfilm M6, Jeanne Herry s’émancipe par son talent du film à dossier, voire du théâtre filmé, sans jamais malgré tout, abuser d’effets de style, en s’appuyant continuellement sur le sensitif.
Si on peut noter toutes ces qualités à Je verrai toujours vos visages, il y en a une qu’il me paraît impossible de manquer et de placer au centre de la réussite du métrage. Ce point, c’est tout simplement la direction des acteurs, qui en plus, joue à la fois sur une dynamique de groupe et une autre plus intime, caractérisant notamment le personnage d’Exarchopoulos. Si le casting est en lui-même déjà assez intéressant pour s’y arrêter, les acteurs donnent une force autant sensitive qu’évocatrice à l’ensemble, ensemble qui en devient alors tout bonnement puissant. Sans pour autant tomber dans les performances à oscars (ou plutôt ici césars), le casting, évidemment déjà prometteur, insuffle un mélange d’honnêteté et de maîtrise qu’il est difficile de ne pas applaudir. Ce dernier m’a beaucoup rappelé la maîtrise de Maïwenn, notamment sur Polisse, et comme Polisse, c’est encore un point qui distancie Je verrai toujours vos visages du bête téléfilm en carton. Sans compter que ces acteurs doivent composer avec des dialogues parfois délicats, puisque demandant d’être en phase avec l’évolution du personnage et de faire ressentir à pleines balles, ce que ressent ledit personnage. Or, en plus de donner une vigueur à des séquences qui le méritent, et de caractériser l’évolution des personnages sans un surplus d’explicatif, ces acteurs nous font ressentir leur vécu, leur passé, toujours en restant dans un point de vue axé sur le présent. Encore une fois, malgré quelques incrustations de ce passé douloureux, les acteurs dépassent la description de ce passé, de leur ressenti, et, en plus de faire ce qu’on appelle communément du « show don’t tell », ils dégagent l’Enjeu (avec un grand E) de la justice restaurative : la réparation de l’être fracturé par la violence et de substant, l’expression de son humanité. C’est bien ce mot qui pourrait caractériser Je verrai toujours vos visages au fond, humanité. Loin de la niaiserie première, c’est en laissant s’exprimer ses personnages, même les plus stéréotypés que ces derniers arrivent à évoluer, peut-être de manière attendue, mais avec une émotion sans bornes et un sentiment d’accomplissement rare. C’est aussi là que le ton purement dramatique évolue et passe notamment par quelques touches d’humour. Si cette dynamique est en grande partie visible lors des tables rondes, le personnage d’Exarchopoulos dégage aussi grandement ça. Des insères sur des scènes de son quotidien, où le passé resurgissant semble prendre le contrôle de ses mouvements, avant de voir dans une confrontation finale et symbolique, comment elle réussit à se sentir légitime à tourner la page, et peut-être faire face à la violence décrite dans les tables rondes. La boucle est bouclée.
Il manquerait peut-être à Je verrai toujours vos visages une narration un poil moins brouillonne et attendue, mais les performances générales, la maîtrise de Jeanne Herry de sa caméra et les émotions débordants de ce métrage font taire, au moins un instant les défauts qu’on pourrait légitimement lui adresser ; si ce n’est celui d’être un banal film français chiant. D’autant plus que Je verrai toujours vos visages marque après la séance, nous donne à nous aussi le privilège de nous questionner sur une violence quotidienne ; voir même de s’y confronter pour faire sortir toute la dose d’humanité qu’on a en nous et dépasser un statu quo morose. En résulte un vrai film populaire, qui risque d’en bouleverser beaucoup, d’en émouvoir la quasi-totalité, et de nous rassembler sur notre fond plutôt que de racler les stéréotypes de la forme.
Ps : un grand merci à Leila Bekhti d’avoir bien pris mon « je t’aime » lors de l’avant-première, je voulais dire « je vous adore », mais il faut croire que j’ai été victime d’un lapsus révélateur.
2e Ps : Je m’accorde aussi avec les propos de Jeanne Herry : montrez ce film au plus grand nombre, en particulier aux cas dépeints dans le métrage, comme des détenus.