Après la grande réussite qu'était Pupille, Jeanne Herry, qui n'a à présent plus rien à prouver, continue avec ce Je verrai toujours vos visages, au titre très "lévinassien", son exploration des travailleurs et travailleuses de l'ombre qui œuvrent, combattent même, pour une société et des humains meilleurs.
Elle réitère l'exercice délicat du film chorale et l'exploit d'établir un équilibre total, parfaitement horizontal, où nul personnage ou acteur n'est mis en avant, mais où chacun a pourtant son moment de gloire.
Aussi à l'écriture du scénario et des dialogues, elle parvient à atteindre une justesse totale, qui permet un traitement parfaitement exhaustif de son sujet, en abordant, sans forcer, tous ses angles, tous ses biais, toutes ses impasses, et nous épargnant toujours le caricatural et la corde sensible. C'est suffisamment rare pour ne pas être mentionné.
Elle est bien aidée dans son entreprise par son casting, aux interprétations unanimement parfaites, parvenant ainsi un autre exploit, celui de convoquer à de nombreuses reprises une émotion brute, à fleur de peau, qui saisit le spectateur sans crier gare. La démarche cinématographique est donc touchante, réconfortante, réparatrice, tant elle inclue le spectateur et semble, à la manière des personnages, être à l'écoute de ce qu'il ressent, le convoquant régulièrement dans son individualité, son histoire et ses sentiments propres.
Le dispositif scénique mis en place est passionnant, même s'il comporte ses erreurs (on se serait par exemple largement passé des "flashbacks" inégaux qui illustrent certains souvenirs racontés, brisant partiellement l'égalité de traitement qu'on célébrait plus haut). Faire un film où la parole et, surtout, l'écoute, sont si centrales est un geste risqué, mais elles sont ici tellement respectée et accueillies, frontales sans être obscènes, qu'on en ressort forcément troublé.
La pulsion documentaire qui affecte certaines fictions dites "sociales" est ici subtilement évitée et pleinement justifiée ; un documentaire n'aurait probablement pas réussi à donner tant d'épaisseur et de profondeur à de tels personnages, tous complexes et finalement bien humains. La fiction prouve ici quelle est encore et pour toujours le plus bel outil de distanciation autant que d'apprentissage.
Et Jeanne Herry prouve qu'elle aussi, à sa manière,œuvre, combat avec intelligence pour une société et des humains meilleurs. Et le spectateur d'en être plus que rassuré.