D'abord c'est un jeune homme qui s'adresse aux spectateurs, et répète que personne ne le connaît. Puis il promet de dire son nom, mais il ne le donne jamais. Alors le film (le récit, l'illusion) commence, tentant de donner un nom à ce jeune homme. Un nom, un être. Avec ce calme souverain propre aux grands films, alors même que le cinéaste tente mille expérimentations.
Les trois films de Terayama que j'ai vus jusqu'à présent mettent en scène des dépucelages de jeunes hommes, et à chaque fois c'est magnifique, ça dit la grâce et le déchirement dans le même mouvement, la mise à mort de l'enfance, la folie incestuelle de la première fois. Personne n'a jamais montré ça de cette façon. C'est une chose qui n'appartient qu'à Terayama, et qu'aucun cinéaste n'a eu l'audace de poursuivre ou de prolonger. Le film entier nous montre la formation d'un corps masculin, et il parvient à ne jamais être dans le discours.
Je ne sais pas comment dire la grandeur de ce cinéma. Parfois il y a tout simplement des fulgurances, des images fortes, comme ce drapeau américain qui brûle en son milieu et se déchirant s'ouvre sur un couple qui fait l'amour sous un pont. Mais il n'y a pas que de l'inspiration, il y a aussi de la pensée. Par exemple à un moment du film, le fils annonce à son père qu'il veut s'acheter un nouveau pantalon, et c'est une scène d'affirmation ou d'émancipation, mais alors la caméra se déplace un peu et on voit par la fenêtre un cul-de-jatte avancer péniblement dans la rue. Terayama n'oublie jamais qu'il y a toujours plus petit que soi.
L'avant-dernière scène est l'une des plus belles et des plus vibrantes du cinéma de Terayama. On y voit l'acteur principal, entouré de toute l'équipe du film, expliquer ce qu'il a vécu et dire adieu aux spectateurs. C'est tout simple, le jeune homme dit que le cinéma est un mensonge auquel il a cru, que pendant les 28 jours du tournage il a eu un père, une famille, des rêves, des amis qui n'étaient pas les siens mais auxquels il avait fini par croire, bien qu'après chaque scène il ait entendu le réalisateur dire "coupez", mais lui n'a rien pu couper, la nuit il rêvait de ce à quoi son personnage rêvait, le jour il pensait à ce à quoi son personnage devait penser, et tout cela ne devait durer que 28 jours. "Adieu le cinéma", s'écrie-t-il à la fin de cette scène magnifique. Alors Terayama filme dans un long travelling tous les visages de ses acteurs et collaborateurs, et tous nous regardent, et c'est la fin du film.

Multipla_Zürn
9
Écrit par

Créée

le 10 janv. 2021

Critique lue 511 fois

8 j'aime

Multipla_Zürn

Écrit par

Critique lue 511 fois

8

D'autres avis sur Jetons les livres, sortons dans la rue

Du même critique

As Bestas
Multipla_Zürn
2

Critique de As Bestas par Multipla_Zürn

Un cauchemar de droite, créé par l'algorithme du Figaro.fr : un projet de construction d'éoliennes, des bobos néo-ruraux en agriculture raisonnée, des vrais ruraux sous-éduqués qui grognent et...

le 26 sept. 2022

45 j'aime

44

Les Herbes sèches
Multipla_Zürn
9

Critique de Les Herbes sèches par Multipla_Zürn

Les Herbes sèches est un film sur un homme qui ne voit plus, parce qu'il n'y arrive plus, et parce qu'il ne veut plus se voir lui-même au coeur de tout ce qui lui arrive. Il prend des photographies...

le 25 juil. 2023

42 j'aime

2

Moonlight
Multipla_Zürn
4

Critique de Moonlight par Multipla_Zürn

Barry Jenkins sait construire des scènes (celle du restaurant, notamment, est assez singulière, déployant le temps dans l'espace via le désir et ses multiples incarnations, à savoir la nourriture, la...

le 5 févr. 2017

37 j'aime

1