A une époque - qui ne semble pas si lointaine - où les films de super-héros se portaient à merveille et poussaient les studios à lancer plusieurs méga-productions dans la même année, Joker rejoint ce petit coin de paradis industriel à son tour en amassant plus d'un milliard de dollars au box-office, le Lion d'Or à la Mostra de Venise et l'Oscar du Meilleur Acteur pour son interprète principal : Joaquin Phoenix. Un succès conséquent pour un petit blockbuster maquillé en drame social - bien aidé par la popularité de son personnage - qui a dû donner des sueurs froides à la Warner et la motivation de lancer une suite malgré les intentions de son réalisateur disant lui-même que son projet a été pensé en un seul film. Seulement, aujourd'hui le marché des films de super-héros a changé, leur réception critique a changé et les modes de production ont également changé d'une certaine manière. S'il n'est donc pas étonnant de voir ce deuxième film voir le jour et affronter les mêmes problèmes que rencontre actuellement l'industrie, Joker - Folie à deux doit également faire face à un autre problème : le succès de son prédécesseur.
Il est clair qu'à la vision du film, Todd Philips assume pleinement d'avoir fait une suite sur le succès que Joker a connu. Ce dernier ne se vante évidemment pas de ses chiffres au box-office à l'écran mais part plutôt de tout ce que succès a créé de négatif : les gens qui ne l'ont pas ou mal compris et qui, prenant le personnage comme porte-parole d'un ras-le-bol général de la population, s'amuse à faire de la philosophie de comptoir avec et le transformer en figure contestataire politique. Pourtant sur le principe, l'idée de remettre en question sa propre notoriété est intéressante surtout lorsque Philips joue sur les questionnements moraux de l'érection de son personnage en icône. Seulement, mise à part sa transformation en film carcéral/de procès, Joker et Joker - Folie à deux racontent exactement la même chose : dans les deux cas, le personnage d'Arthur Fleck - qui maltraité au quotidien par les gens qu'ils croisent - rêve d'un autre destin et - qui victime d'un système médiatique humiliant - libère sa rage et embrasse l'instrument de cette dernière. Joker - Folie à deux retrace donc explicitement l'histoire de Joker, quitte à reconvoquer ses personnages secondaires afin de surexpliquer ses évènements passés avant de surexpliquer ses propres évènements aux travers de scènes de comédie musicale. Il est tout-de-même bien triste de voir que Jacques Audiard tout comme Philips ont fait de l'argument le plus original de leur film leur principal échec en ne comprenant pas que la comédie musicale ne sert pas à réciter les évènements ou la note d'intention de leur récit mais sert à la création d'un imaginaire à la fois à part et connecté à ce dernier dans des numéros impressionnants et bien plus ambitieux qu'un plan-séquence ou une danse sur un décor de cartoon.
Joker - Folie à deux est donc un cuisant aveu d'échec par le fait de ne pas réussir à voir plus loin que le bout de son nez mais est également une des nombreuses représentations de l'aveu d'échec plus général d'une culture populaire qui semble elle-même tellement dépassée par les concepts qu'elle créée qu'elle ne sait plus comment les expliquer. Les critiques et les débats sur le cinéma sont aujourd'hui tellement remis en question que les cinéastes se sentent obligés de refaire des films afin d'expliquer ce qu'ils voulaient originellement dire. La démarche est noble, mais le spectateur ayant apprécié Joker pour ce qu'il a été diront simplement devant sa suite :
Merci, mais je le sais déjà.