Spoiler alert : cette critique va s'appuyer sur de nombreux éléments de l'intrigue du film, donc n'allez pas plus loin si vous souhaitez en avoir un avis vierge de toute connaissance de ce qui s'y passe ! Vous êtes prévenu-es..
Curieux film que ce long-métrage de Todd Phillips se voulant la suite directe du Joker de 2019. J'y suis allé à moitié à reculons, tout en sachant qu'il déchaînait les passions et que beaucoup en sont ressortis extrêmement déçu-es.
Bonne nouvelle, tout le monde ! Personnellement, je ne l'ai pas trouvé aussi catastrophique que prévu. Mieux, je l'ai trouvé plutôt intelligent, en tout cas dans ses intentions !
L'histoire poursuit celle du film précédent, où à la suite de son arrestation, Arthur Fleck (aka le Joker) se retrouve en prison, attendant le jugement qui devrait sans nul doute l'emmener sur la chaise électrique.
Mais bien sûr, ça ne va pas se passer aussi simplement. Il rencontrera au sein d'un groupe de chorale de la zonzon Lady Gaga, aka Lee Quinzel, qui en tant que fan du Joker a tout fait pour tenter de le rencontrer en vrai. C'est là que commence, avec un coup de foudre mutuel, une relation en dents de scie dont on se demande à quel point elle est bien réelle.
L'aspect musical et "chantant" de leur relation est crucial, puisque c'est à partir de ce moment que l'imaginaire du personnage de Joker commence à drastiquement changer : si jusqu'à cette rencontre, on ne nous donne à voir qu'un Arthur Fleck terrorisé et malmené par la dure vie carcérale, c'est à partir de là qu'il se remet à rêver, la plupart du temps en chanson, du Joker, ce personnage de clown flamboyant et désinhibé (son parfait contraire), celui dont Lee est réellement tombée amoureuse. Ces séquences laissent à penser que le film tente de devenir une comédie musicale, sans jamais vraiment y parvenir - Todd Phillips s'est cependant défendu d'avoir voulu en réaliser une avec ce film.
Et oui, "Rêver", le mot a son importance car c'est aussi là une des différences de cette suite par rapport à l'original : c'est un film onirique, à moitié réel, dans lequel certaines scènes ne se déroulent que dans la tête d'Arthur Fleck. Todd Phillips nous en donne rapidement les codes, cf. les parapluies changeant de couleur au tout début, comme pour nous avertir : "Attention, ce que vous allez voir pourrait en partie être tiré de l'imagination d'Arthur". Il reste que si la plupart des scènes de fantaisie sont facilement identifiables, un certain flou artistique plane sur d'autres, dont la vraisemblance (ou le manque, le cas échéant) ne me semble pas acquise (exemple de la scène de... sexe? dans la prison).
Sans trop rentrer dans les détails, j'ai plutôt apprécié le ilm pour ce qu'il est : Todd Philips réitère son message du premier, à savoir que "son" Joker n'est pas un génie du mal ; il est littéralement un malade mental avant tout, un homme misérable avec un handicap que la société a laissé tomber et qui a sombré dans une folie meurtrière, mais passagère, et qui n'efface pas le personnage du relativement innocent Arthur Fleck derrière.
Par conséquent, le film porte un message très "méta" : à l'instant où cet homme refuse d'être l'anarchiste fou et brutal que les nombreux supporters du Joker, Lee Quinzel la première, souhaitent qu'il devienne, c'est la débandade. À l'écran comme dans les cinémas, c'est la douche froide et l'incompréhension totale.
Son refus de rentrer dans le personnage que les autres ont imaginé pour lui se transpose totalement au public du film, qui lui aussi s'attendait probablement à une sorte de film de gangsters où Joker et Lee Quinzel, ensemble, auraient semé le chaos dans Gotham City. Mais point de cela ici, puisque le long-métrage se déroule principalement en prison et dans une cour de justice.
C'était définitivement un pari risqué pour Todd Phillips de partir dans cette direction, mais pour ma part j'ai vraiment apprécié que ce soit un film qui a des choses à dire !
Sur l'injustice de la maladie mentale, et la fascination déplacée de certain-es pour les menaces à l'ordre public, et leur recherche de "faux prophètes" (qu'ils pensaient avoir trouvé en la personne du Joker) qui les extirperaient de leur misère en faisant tomber cette société inique en mode "Tout cramer et reprendre à zéro".
Todd Phillips nous dit haut et fort que oui, ce monde est tordu et malsain, mais que "œil pour œil, dent pour dent" (la violence répondant à la violence) n'est pas la bonne solution, ni ce qu'il souhaiterait encourager. Brûlez vos idoles ! Et si vous faites partie de celleux qui considèrent le Joker comme un héros, alors vous n'avez pas compris le message (un peu comme Frank Herbert écrivit Le messie de Dune pour faire comprendre aux gens que non, Paul Atréides n'est pas un "gentil"...).
Il prend donc le contrepied total de ce que la majeure partie du public, fans du Joker, espérait... Et c'est d'ailleurs un sujet de réflexion intéressant : les foules populaires, imaginaires ou bien réelles, ont-elles une soif de violence proportionnelle à l'injustice ressentie dans la société ? Pourquoi cela aurait-il été aussi cathartique pour certains de voir le Joker réduire l'ordre social en miettes à l'écran ?
À méditer...
Si le propos du film est donc intéressant, il n'en reste pas moins que certains éléments sont parfois décousus. J'ai trouvé les chansons un peu faiblardes, démontrant que le film n'assume jamais vraiment ce côté "comédie musicale" qui, s'il fait beaucoup de sens du point de vue de l'histoire (Joker et Lee Quinzel se rencontrent dans une chorale), n'est pas vraiment exploité à son plein potentiel (chansons, chorégraphies...). Certaines scènes semblent un peu longues, voire superflues, lorsque d'autres auraient mérité d'être approfondies. Dommage.
Vers la fin du film, Todd Phillips décide aussi de répondre à une des grosses interrogations des fans sur sa version du Joker (attention, méga-spoiler de la dernière scène) :
Pourquoi est-il déjà aussi vieux, alors que Bruce Wayne, le futur Batman, n'est encore qu'un enfant ? Le décalage est trop important pour qu'Arthur Fleck devienne un jour l'adversaire du justicier masqué... Et bien, c'est simple : le Joker qu'on a suivi durant ces deux films n'était tout simplement pas celui qu'on connaît, mais son prédécesseur ! Puisque la dernière scène nous montre comment Arthur Fleck meurt poignardé par un jeune détenu, ex-fan du Joker déçu comme tous les autres, riant à tue-tête avant de lacérer ses propres lèvres. Pour moi, la référence est sans équivoque : l'acteur choisi ressemblant même à Heath Ledger (selon moi), l'intention était de montrer la création du Joker apparu dans "The Dark Knight" de Christopher Nolan. Quel coup de théâtre !
Pour conclure, je pense que c'est un film intéressant, mais inégal. Il ne restera probablement pas dans les annales, car il se contente de "boucler" l'histoire commencée dans le premier, sans vraiment y introduire de nouveaux éléments ou de nouveau message à faire passer. Mais si vous avez apprécié le premier, je pense qu'il vaut tout de même le coup de s'y risquer malgré les critiques assassines. Vous pourriez être surpris-e !