Stanley Kramer n'est pas un réalisateur banal. Plusieurs de ses films ont abordé des sujets difficiles par exemple "la chaine" ou "Devine qui vient diner" ou "Jugement à Nuremberg". Il était aussi un producteur indépendant et a pu ainsi faciliter d'autres films sur des sujets qui fâchent comme "Ouragan sur le Caine".
Dans "Jugement à Nuremberg", réalisé en 1961, il relate un des derniers procès de Nuremberg de 1947 qui est "le procès des juges". En fait, vérification faite, le scénario s'inspire des faits historiques et est une œuvre qu'on pourrait dire complètement fictive. En effet, dans le vrai procès, les juges mis en accusation étaient beaucoup plus nombreux.
En revanche, le sujet est bien le même car concerne des juges impliqués dans la mise en œuvre des lois raciales et eugéniques.
Le film de Stanley Kramer a voulu une portée symbolique bien plus vaste car, au delà de l'aspect purement historique, il met en scène un juge d'une petite ville américaine catapulté dans ce tribunal dans un contexte international de menace de guerre avec le bloc soviétique. Cette menace de guerre aboutira à ce qu'on appellera la guerre froide. En attendant, cette menace fait flipper tous les chefs militaires américains et alliés qui ne considèrent pas ces procès très opportuns à une période où ils risquent d'avoir besoin du soutien du peuple allemand. Il ne convient donc pas de trop froisser la population avec ces procès qui finissent par ne pas être populaires...
Mais le procès se déroule sereinement et permet de développer divers débats sur la notion de responsabilité de la justice allemande dans la mise en application de lois iniques sous le troisième Reich.
Comme souvent dans ce genre de film, une fois que le problème est posé, ce sont les numéros d'acteurs qui vont faire la valeur ou non du film. Et ici, on n'est pas déçu par le choix des acteurs et surtout leur jeu.
En tête de la distribution, il y a bien sûr le juge américain interprété par Spencer Tracy. Que dire sinon qu'il est comme toujours excellent dans le rôle d'un vieux juge à la retraite (comme il le dit lui-même, il ne s'est pas trouvé beaucoup de volontaires pour la mission) ; son allure modeste et à l'écoute, plein d'empathie vis-à-vis du peuple allemand, le rend rapidement sympathique.
Sympathique mais tenace. Tenace et ferme.
Le procureur est interprété par Richard Widmark. Il joue le rôle d'un colonel américain qui a découvert l'horreur nazie des camps d'extermination. Il ne se positionne pas seulement en "libérateur" mais en un homme dont l'objectif est bien de punir les vrais responsables de ces horreurs. Alors qu'il subit des pressions de sa hiérarchie pour ménager les accusés, il a cette question - dérangeante - "Mais pourquoi avons-nous donc fait la guerre?
L'avocat de la défense est interprété par un vibrant Maximilian Schell (il a reçu un oscar pour son rôle dans ce film). Son objectif est, pour dédouaner les juges, d'élever le débat et porter (généraliser) la responsabilité sur les pays qui ont laissé faire Hitler dès son accession au pouvoir alors qu'ils savaient ou avaient quelques intérêts comme certains industriels américains.
Le personnage joué par Schell doit être mis en perspective avec un des juges accusés joué par Lancaster dans le rôle d'un des accusés, un juge impliqué dans le ministère nazi de la justice qui va soudain s'opposer aux méthodes brutales d'investigation de l'avocat auprès d'un témoin : "on ne va pas recommencer maintenant !"
Montgomery Clift et Judy Garland vont jouer les rôles émouvants de deux victimes des lois eugéniques et raciales, très durement interrogées à la barre par l'avocat de la défense des juges.
Marlène Dietrich joue le rôle de la veuve d'un dignitaire nazi condamné à mort et exécuté dans un précèdent procès. Elle se lie d'amitié avec le juge (Spencer Tracy) et tente de l'infléchir. Son rôle est d'autant plus intéressant que sa propre opinion était plutôt de considérer la responsabilité générale du peuple allemand qui savait ou avait les moyens de savoir ...
La réalisation de Stanley Kramer est magnifique avec une caméra qui filme de façon assez virtuose les débats dans le prétoire en des mouvements tournants pour mettre en perspective à l'arrière plan les visages et les réactions de l'auditoire ou des magistrats ou des accusés.
"Jugement à Nuremberg" est un film puissant et passionnant, sans manichéisme, sur ces notions de responsabilité et culpabilité ou encore sur l'engrenage qui conduit à la culpabilité.
"C'était fatal du jour où vous aviez condamné à mort l'un deux que vous saviez innocent"