Quoi de commun entre Pauline Harmange, Mona Chollet et Julie en 12 chapitres ? Rien a priori, si ce n’est cette vieille antienne de l’amour hétérosexuel en plein échec chez la femme, booster de ventes de livres et de places de cinéma. Car sous ses airs de faux film d’apprentissage, contrairement à un Eva en août, bien plus digne en comparaison, Julie en 12 chapitres retrace l’histoire d’une femme dont les hésitations perpétuelles masquent à peine la véritable thématique du film : multiplier les partenaires sexuels jusqu’à trouver le bon.
Il y a quelque chose de l’adolescente dans le corps d’un adulte, chez Julie, état psychologique facilité par un milieu sociologique de type classe moyenne supérieure, où tout le monde travaille bien évidemment dans la culture : petit-ami photographe, puis petit-ami dessinateur de BD, Julie elle-même écrit des tribunes bien senties à l’ère me too, et travaille dans une librairie pour subvenir à ses besoins. On m’opposera qu’au comble de la pénibilité, l’élu finaliste de son coeur est serveur dans un café, métier rapidement balayé, parce qu’on ne sait pas quoi en dire et que, de toute façon, le sujet du film, c’est Julie. Ce serait oublié le décentrement intriguant opéré sur cet homme aux prises avec une influenceuse yoga caractérisée de façon si sexiste que le cinéma s’en souviendra pendant encore un petit moment. Pourquoi faire dire « mon ex est folle », si on peut montrer une folle caricaturale grâce à la complaisance des images ?
Cette société téléramesque serait désopilante si on pouvait en rire, mais il faut dire que Trier est si sincère dans ses intentions qu’il ne nous laisse jamais vraiment le choix de le faire. Julie n’a rien fait, rien accompli, mais tous ses compagnons la trouvent géniale. Encouragement ou cécité ? Selon qu’on se trouve dans la même situation que Julie elle-même ou pas, on penche d’un côté ou de l’autre. Femme hétérolambda coincée dans sa condition monogame, Julie désire l’ailleurs, dans une version 2021 pâlichonne de Bovary. Elle pourrait, toute scandinave qu’elle est, opter pour la relation libre. Le polyamour. La multiplication des partenaires assumée, en toute conscience, comme le faisait Catherine Tramell en son temps. On pourrait écrire une Julie qui surprend, au lieu d’une hypocrisie vaguement edgy la conduisant à uriner devant celui qui deviendra de toute façon le prochain copain sur la liste.
Alors, quoi ? Tout le monde est beau, mais Julie, quand même, elle déconne. Et comme elle ne file pas droit, l’histoire ne peut la rendre heureuse. Elle termine douloureusement, avec le fameux karma qui a décidément le dos bien rond : ex qui a un cancer du pancréas, au teint jaune crayeux, petit-ami qui ne veut pas d’enfants soi-disant, mais qui en réalité n’en voulait ni avec l’ex la folle ni avec elle, géniale-mais-pas-assez, emmenant Julie à terminer seule, sans bébé, et avec par-dessus le marché une coupe au carré lui donnant dix ans de plus sur la tronche. Plus punitif, tu meurs, mais on va sûrement trouver ça beau, après avoir découpé la séquence poétique du film pour la tweeter afin qu’elle vive le même destin qu’un autre voisin scandinave, Drunk.
Qu’en retirer de tout ceci ? Que Julie a raté l’homme de sa vie, et qu’il est en quelque sorte décédé à cause d’elle. Que l’homme, qui l’a bassinée pendant des années pour avoir un gosse alors qu’elle n’était pas prête, chantre des on ne peut plus rien dire était en fait le bon, qu’elle s’en est rendue compte trop tard. Sacrée épopée. Espérons que le genre ne fasse pas florès à l’avenir, même si on est en droit de craindre le contraire.